« Un business dont le seul but est de faire de l’argent est un bien triste business » (Henry Ford)
Le surf véhicule une conception engagée du monde, une certaine liberté, une perpétuelle recherche et fera toujours rêver les foules. Et ça, les entrepreneurs accros aux boardshorts l’ont vite compris. Comment un sport synonyme de liberté et d’adrénaline qui ne cesse de ramener des images uniques à couper le souffle, où certains riders risquent leur vie, ne pourrait-il pas aussi ramener de l’argent ? C’est pourquoi, il y a quelques années, tout le monde s’est mis à miser sur ce sport « émergent », certains se rempliront les poches, d’autres fuiront ce système (« C’était mieux avant ») ou perdront beaucoup lorsque la valeur des titres chez Quiksilver dégringola.
Un lifestyle qui rapporte des sous.
Le surf business est apparu il y a une vingtaine d’années environ. Relativement surprenant car le surf est un sport qui a émergé sur les bases d’une contreculture, notamment aux Etats-Unis ou encore à J-Bay comme le témoigne Bruce Gold, dernier hippie du légendaire spot sud-africain. Quête de liberté, voyages et découvertes de vagues toujours plus creuses et parfaites sur les spots les plus reculés de la planète, sont des valeurs ancrées dans la tête de chaque surfeur, quel que soit son niveau ; mais le surf comme le rock’n’roll s’est normalisé. Cette légère « aseptisation » économique du milieu ne cessera de diviser ses adhérents, dont chacun des arguments se défend finalement pour des raisons opposées.
Les derniers chiffres valent le détour et justifient cette croissance à deux chiffres pendant 25 ans, montrant à quel point les volumes de ventes ont grossi ces dernières années et comment le commerce autour du surf s’est élargi, sans cesse à la recherche de parts de marché supplémentaires. Aujourd’hui, le monde du surf pèse 6,5 milliards d’euros dont 3,7 aux Etats-Unis et 1,7 chez nous en Europe, à qui on doit une bonne partie à la France et ses fameux spots du sud-ouest (3500 emplois en Aquitaine). A elle seule, la marque Quiksilver s’accapare 23% du marché. Des chiffres provenant essentiellement du surfwear.
Même si le surf est un domaine qui a subi la crise, il semble aujourd’hui à la fin d’un cycle. Il a su se maintenir et ne devrait pas tarder à repartir, si ce n’est pas déjà fait. Comme tout banc de sable magique, tout business fleurissant peut disparaître momentanément, mais ce n’est que pour mieux se reformer autre part. Ce n’est pas le célèbre beachbreak landais de La Gavière ou l’industrie du surf qui vous dira le contraire.
Un business sur la vague du succès.
Les cours de surf sont une affaire qui marche. Les écoles de surf ont fait une excellente année en 2016 encore. Alors qu’elles travaillaient principalement deux mois par an, les moteurs tournent désormais à plein régime pendant quatre à six mois même si la concurrence ne cesse d’augmenter. On comptait 3 moniteurs de surf il y a 20 ans à Biarritz, ils sont plus d’une quarantaine aujourd’hui. La Côte des Basques n’abrite pas moins de 5 écoles de surf à elle seule. Accueillant des centaines de surfeurs chaque été, facturant les stages eux-mêmes à quelques centaines d’euros, on vous laisse faire le calcul des gains de ces écoles d’un autre genre ; ce à quoi s’ajoutent souvent des ventes de matériel, des locations. 1h de cours particulier chez Hastea sous les yeux de la villa Belza à Biarritz vous coûtera tout simplement 100 €, la planche en mousse te sera quand même fournie à ce prix-là.
Beaucoup de marques font désormais confiance au surf, et même si elles semblent totalement à l’ouest sur le papier, il est indéniable que leurs nouveaux concepts tout droit inspirés de la culture surf, font vendre. Tout le monde cherche à prendre sa part.
Cela n’a pas échappé à certains grands noms de la mode qui ont rapidement bondi sur l’occasion. En 2013, Tommy Hilfiger lançait cette nouvelle vague, ouvrant un vaste magasin sur les Champs-Élysées. Sable, plage, coccinelles, tapis en coco, Breakbot pour la soirée de lancement et le tour était joué. On y vendait même des planches 1 500 euros pièce, signées d’artistes comme Richard Phillips ou Scott Campbell qui sont certainement aujourd’hui accrochées au mur plutôt que dans les racks. D’autres maisons vendent de luxueuses planches avec entre autres Chanel et son longboard à logo noir et blanc (environ 4 000 euros), Lacostelab et sa planche croco (1 280 euros). Channel a également misé sur le côté sulfureux du surf et de la charmante Gisele Bündchen pour ses parfums (Channel N°5), aujourd’hui les plus connus au monde. Même Kelly Slater a parié sur elle à une autre époque, certainement pour autre chose que ces qualités surfistiques.
Un secteur à la pointe de l’innovation.
Milieu où la concurrence fait rage, les grands standards du surf ne cessent de redoubler d’efforts pour offrir à leurs clients la perfection en termes de matériel, à l’instar de Rip Curl.
A l’inverse de certaines marques, Rip Curl met l’accent sur la technicité. Sa collection hiver se veut plus confortable et plus chaude, et surfe sur l’engouement pour ce sport, quelle que soit la saison et quel que soit le pays, comme le témoigne un des derniers trips de Mick Fanning et de Mason Ho que l’on voit évoluer non loin d’icebergs (voir photo). Leurs combinaisons sont les meilleures des marchés, flexibles, résistantes et chaudes. Mais une telle merveille coûte au moins 400€, auxquels les gants, chaussons et cagoules sont souvent à rajouter. C’est cher, mais c’est le prix de la qualité.
Une valve qui évacue l’eau de la combinaison sans la laisser entrer, du cocona dans les vêtements pour faciliter une meilleure diffusion de l’humidité pour un séchage plus rapide, Rip Curl pense à tout.
C’est d’ailleurs ce qui lui permet d’afficher des centaines de points de vente dans le monde, de voir son logo orner les planches de plusieurs champions du monde (Gabriel Medina, Mick Fanning…), de terminer chaque année avec des centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires. Plus belle année en 2012 avec 320 millions d’euros de chiffre d’affaires, enregistrant une croissance de 15% par rapport à l’exercice précédent.
Entre marketing, hype et racines.
Tous ne sont pas sur la même longueur d’onde que ces multinationales. Dane Reynolds, véritable idole pour beaucoup pour son style puissant, ou encore Clay Marzo pour sa vision unique du tube, porte-étendards d’une génération anti-système, ont en eu marre des médailles et des notes. Ils ont arrêté la compétition pour quitter toutes les tensions du Tour, délaisser les scandales de la WSL et ne pas se laisser prendre par le nouveau jeu des investisseurs. Oxbow est sans doute la marque la plus vraie, proche de la nature et hors de toute compétition médiatisée, elle privilégie les watermen comme Laird Hamilton ou Kai Lenny, à qui l’on doit certaines des plus belles performances de cette dernière décennie.
« De Paris à Guéthary, laisser une planche de surf trainer chez soi est à la mode. » (Un hipster)
Tombé dans la « hype », loin du mode de vie Sea, Surf and Sun (le reste vient avec) des débuts, le surf s’est fait happer par les boss du marketing.
Avant, le gagnant d’une compétition gagnait 7 500 €, c’est désormais 500 000 $ de prize money que les surfeurs se sont partagés lors du Quik Pro France début octobre dernier, et 1 000 000 $ en 2011 à New York, record de la discipline. Les surfeurs sont devenus très pros avec un vrai staff derrière, de l’entraineur au diététicien. Beaucoup misent sur eux.
Trop de monde sur les spots.
Le surfeur a beau être vu pour beaucoup comme le porte-drapeau de la détente, les purs aficionados peuvent afficher un comportement plus proche de celui d’un ultra que d’un surfeur. Les vagues ne sont pas infinies, et il y a trop de monde pour se les partager.
« Il y a trop de monde et certains sont déguisés en surfeur. »
Pour garder les vagues de leur spots aérées, certains n’hésitent pas à recourir à un localisme violent. Des petits gangs à part entière se sont même créés. Pour marquer leur appartenance au clan, les « Bra Boys » se distinguent par leur tatouage « My Brother’s Keeper ». D’autres groupes s’identifient par la couleur de leur maillot de bain comme les célèbres Black Shorts d’Hawaii ou pour les White Shorts de l’Île Maurice.
Groupe de surfeurs du North Shore d’Oahu à Hawaii, créé en 1976 dans le but de «défendre les droits» locaux, les Black Shorts militent pour la protection de leur culture et la préservation de la richesse de leur île. Plus calmes depuis quelques années, les altercations violentes à l’eau ont laissé place à une protection pacifique et constructive.
Depuis, la communauté surf s’est assagie, les surfeurs du Tour sont de vrais athlètes surentraînés, à l’hygiène de vie irréprochable. Le surf fait rêver et s’immisce partout, dans chaque milieu. Doté d’une dimension sportive de plus en plus forte et reconnue, il s’expose depuis peu sur le devant de la scène avec ses séquences toujours plus folles. Les limites de ce sport sont sans cesse repoussées.
Il a d’ailleurs été annoncé il y a quelques mois, la présence du surf aux JO de Tokyo en 2020. Des jeux qui promettent d’être fous, 1.8 milliards d’euros pour le stade olympique, des pluies de météorites artificielles en guise de feu d’artifice, des robots pour servir, et la 5G remplacera tout simplement la 4G ! Et peut-être du surf dans de gigantesques wavepool aux Jo de 2024, un autre débat.