Steve Tesich a plus d’un point commun avec un autre écrivain
américain, John Irving. L’un est anecdotique : tous deux ont pratiqué la
lutte. Un autre tient en partie au hasard qui régit la répartition des tâches
dans le monde du cinéma : Steve Tesich a écrit le scénario du film réalisé
d’après Le monde selon Garp, de John
Irving. Le troisième est le plus significatif : les deux romanciers ont
les moyens littéraires de nous transporter dans les vies de personnages
auxquels ils prêtent parfois quelques-unes de leurs propres caractéristiques,
en les transposant comme éléments d’un univers particulièrement riche.
Steve Tesich est mort en 1996, il avait 53 ans et le roman
avec lequel les lecteurs francophones l’ont découvert il y a quatre ans était
alors inédit. Karoo a été publié deux
ans après son décès, la traduction a attendu une décennie et demie avant de
nous arriver et voici Price, avec un délai encore plus long, son autre roman, le
premier, sorti aux Etats-Unis en 1982. L’histoire de Daniel Price, un
adolescent qui passe à l’âge adulte en se posant beaucoup de questions sur
lui-même et sur sa famille.
Price puise dans
les souvenirs de l’écrivain, suppose-t-on en le voyant, au premier chapitre,
combattre pour un titre qui lui échappe, en partie par sa faute, parce qu’il
s’est montré impatient devant un adversaire dont il connaissait pourtant le
seul atout. « Je m’abandonnai dans
la défaite comme si c’était là ma vraie place. » Cette scène
inaugurale ne sortira jamais de son esprit, ni du nôtre.
Elle est en partie compensée par la vision de Rachel, qu’il
aperçoit en se promenant dans sa ville – East Chicago, dans l’Indiana, dominée
par la flamme de la Sunrise Oil, une raffinerie de pétrole qui jouera, plus
tard, beaucoup plus que le rôle d’un décor. Ce sera lorsque Larry, un de ses
deux meilleurs amis, finira par transformer sa violence intérieure en acte. Au
moment où Rachel s’apprête à disparaître après avoir fait comprendre à Daniel
une vérité à laquelle il refusait de croire. Au moment, aussi, où la menace que
représentait le père de Daniel s’est atténuée dans la maladie…
Parfois perdu entre les personnes qui l’entourent, comme si
elles jouaient des rôles auxquels il ne comprend pas tout, Daniel écrit ce qui
pourrait être le journal de chacun de ses proches, leur prêtant des réflexions
qu’il fait siennes. Et capable ainsi, espère-t-il, d’approcher mieux leur
mystère. Il fait œuvre d’écrivain, se glissant dans la peau de plusieurs
personnages, adoptant, pour conclure, sous un nouveau nom, une autre voix que
la sienne, à moins qu’il ait trouvé sa vérité profonde : « Aujourd’hui, j’ai quitté l’endroit où
j’ai grandi, convaincu que le destin n’est qu’un mirage. Pour autant que je
sache, il n’y a que la vie, et je me réjouis à l’idée de la vivre. »
Un été suffit à Daniel Price pour s’affirmer, contre tous les obstacles.
Il est raconté de l’intérieur, dans la chambre d’échos qu’est ce beau roman.