Face à la tension instantanée des taux obligataires suscitée par l’élection de Donald Trump, nul doute que l’institution de Francfort est le premier spectateur de cette évolution. De l’autre côté de l’atlantique, une ré-accélération du cycle économique apparait de nouveau dans les anticipations des investisseurs. Ceci explique la hausse des taux longs et la repentification de la courbe. Il est imaginable que la BCE veuille éviter à tout prix la transmission d’effets de resserrement monétaire, et souhaite alors redoubler ses efforts pour continuer à contrôler les taux européens. Outre une prolongation du programme de rachats d’actifs au-delà de mars 2017, voire un ajustement des clés de répartition, la banque centrale devrait donc garantir le maintien de ses taux (officiel et taux de dépôt) à un niveau plancher (voire négatif) lors de son prochain comité, le 8 décembre. Mais faut-il s’en réjouir ?
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L’impact sur les marchés monétaires et obligataires a été considérable. Les investisseurs habitués aux actifs réputés sans risque ont ainsi subi une profonde dilution de leur « pouvoir d’achat » sur les marchés obligataires. La faiblesse des taux pénalise la rentabilité du capital investi et son redéploiement dans l’économie réelle, hypothéquant les capacités de participation des investisseurs à la croissance économique. Les secteurs de la gestion d’actifs et des services financiers ont vu leur profitabilité s’éroder. Dans ces conditions, les investisseurs ont été incités à réviser leur approche des marchés et à s’aventurer vers des classes d’actifs plus risquées, dans une quête de rendement. De la même façon, les banques et créanciers ont dû adopter une attitude « risk on », incités à prêter de l’argent à des débiteurs au profil de crédit dégradé. Le fonctionnement même du système bancaire en est altéré, alors que les banques tentent depuis quelques années d’assainir leurs fonds propres et qu’elles sont tenues de respecter rigoureusement les exigences relatives à Bâle 3, par exemple en termes de ratio d’actifs liquides (LCR, Liquidity Coverage Ratio).
Pourtant, l’expérience a déjà été tentée au Japon, au début des années 2000. Avec un certain succès. La Banque du Japon a mis en œuvre une politique de taux zéro pour permettre aux banques, alors en pleine crise, de reconstruire leur bilan. Mais la mécanique du dispositif de la BoJ était diamétralement différente de celle du dispositif de la BCE, aujourd’hui : les banques pouvaient bénéficier d’un « carry trade » en investissant dans les emprunts d’Etat nippons, alors qu’elles se refinançaient elles-mêmes à taux zéro auprès de la BoJ. Cela leur a permis d’absorber les effets négatifs des prêts non performants qu’elles avaient octroyés et de la dépréciation de leurs actifs. Pourquoi la BCE n’a-t-elle pas appliqué la même formule ?
Le retour d’un cycle de croissance durable en Europe ne pourra pas se réaliser sans la participation du secteur bancaire. Il ne pourra pas non plus se réaliser, si l’érosion organisée du capital se poursuit. Espérons que la mise en garde, au mois d’octobre, du Chef Economiste de la BCE Peter Praet, contre les difficultés que pourrait présenter une période prolongée de taux bas, finisse par être entendue au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE.
A propos de l'auteur : Lieven Jacobs est directeur de la gestion chez Quilvest Asset Management.