À
quel éditeur envoyer son manuscrit ?
Ce billet va constituer une transition commode entre le précédent (« Comment se faire éditer, méthode courageuse ») et le suivant, qui suivra bientôt mais pas tout de
suite : « Comment se faire éditer, méthode pilotée »
Commençons par la sélection de l’éditeur en méthode courageuse.
Vous venez d’achever votre premier roman. À quel éditeur allez-vous l’envoyer ?
Démarche la plus commune : vous (je dis vous sans viser personne, il faut bien dire quelqu’un) vous, donc, allez faire photocopier une dizaine d’exemplaires du manuscrit, et vous enverrez vos dix trésors aux dix plus gros éditeurs de fiction. Après avoir reçu dix lettres de refus, et récupéré vos dix trésors, vous allez probablement les envoyer aux éditeurs classés de 11 à 20 au hit-parade, pour rééditer l’opération, puis descendre progressivement les escaliers de la gloire jusqu’à finir par trouver un éditeur enthousiaste (meilleur des cas). Ou, autre cas malheureusement fréquent, vous finirez par juger que votre statut ne vous permet pas de descendre en dessous d’un échelon x du hit-parade, et vous allez repartir à zéro avec le nouveau roman que vous aurez écrit pour garder le moral pendant toutes ces vagues de refus (chacune d’elles va durer trois mois en moyenne).
Vous aurez ainsi commis l’erreur commune des candidats à la publication.
Les candidats plus subtils adopteront une variante de cette démarche : ils iront repérer à la Fnac les éditeurs qui y sont mis en avant (ne serait-ce que dans le coin « petits éditeurs ». Attention, ce ne sont pas toujours les mêmes, chez les petits). Dans cette liste, ils retiendront les éditeurs qui publient des romans dans la mouvance de leur chef-d’œuvre. Les encore plus subtils iront au Salon du Livre pour valider cette sélection – c’est le seul endroit où on peut avoir une appréhension globale de la production de chaque éditeur, on peut y feuilleter chaque livre. Cette sélection ayant été réalisée, les candidats plus subtils ou encore plus subtils reprendront la démarche précédente, en commençant par les plus gros et en descendant progressivement les étages. Avec des résultats souvent un peu meilleurs.
Ils auront ainsi commis l’erreur subtile des candidats subtils.
Pourquoi ? Parce que cette idée de commencer par les plus gros est un leurre
Chez la plupart des gros éditeurs, les chances d’être publié quand on est débutant enfourchant la méthode courageuse sont nettement plus basses qu’ailleurs (voir cas pratique, infra). Et même si vous y êtes publié, vous ne serez qu’un arbrisseau planté à l’ombre des grands sycomores. L’appui des relations presse sera plus faible, le soutien promotionnel, le pilotage de carrière aussi : priorité aux sycomores, c’est d’eux que dépend l’avenir de la maison.
Bien sûr, la publication en couverture blanche chez Gallimard est une consécration, et j’applaudis mes amis qui l’ont obtenue. Mais, pour rester dans la lexicologie liturgique, la consécration est l’apothéose de la messe. Et la messe est d’abord un sacrifice particulièrement sanglant. Combien de manuscrits immolés pour un élu consacré ? Si j’ai bonne mémoire, il arrive chez Gallimard un manuscrit toutes les 12 minutes. Une cadence d’abattoir. Et quand bien même vous seriez consacré, êtes-vous sûr que votre divine création sera brandie devant les fidèles à genoux ? Sera-t-elle assez encensée ? Et je ne parle pas de la quête, des avances sur droits d’auteurs. Sauf erreur de ma part, elles sont, chez Gallimard, de zéro euros pour les auteurs débutants.
À cela s’ajoute la difficulté de repérer le bon interlocuteur chez les gros : à quel directeur littéraire (ou « éditeur » comme on dit pour compliquer) allez-vous destiner votre bébé ? Comment savoir quel style convient à qui ? On ne sait même pas quels auteurs-maison chacun d’eux a en portefeuille. L’information n’apparaît nulle part sur les sites des maisons d’édition, et on n’en trouve aucune trace à la fin des livres publiés. Les grandes maisons semblent vouloir laisser planer le mystère, c’est une information réservée aux initiés, ou très partiellement glanée au fil des interviews. Résultat : on s’adresse aux noms magiques qui circulent sur le net : on envoie son œuvre à Jean-Marie Laclavetine chez Gallimard ou à Guillaume Robert chez Flammarion, parce qu’il paraît que c’est un gars gentil. Effectivement, j’en témoigne, c’est un type d’une exquise courtoisie. Mais pas au point de retenir plus de manuscrits qu’un autre, surtout quand il est envahi. Connaissez-vous seulement le genre de romans qu’il apprécie ?
Il est plus judicieux d’envoyer votre manuscrit à de moyens ou petits éditeurs : il n’y a pas chez eux de bataillon de directeurs littéraires. Il n’y en a souvent qu’un, c’est donc le bon. C’est même souvent le boss. Assisté par une ou deux lectrices (Pourquoi lectrices plutôt que lecteurs ? Je ne sais pas) qui feront le filtrage. Donc, a priori, pas d’erreur de ciblage si vous avez bien étudié la production maison. Le pire qui puisse vous arriver, c’est que vous tombiez sur une lectrice A qui déteste votre roman, alors que la lectrice B l’adore. Ça m’est arrivé.
La sélection y est plus attentive : les petits et moyens sont moins envahis de manuscrits que les grosses : un bon roman risque moins de se noyer dans la masse.
Reste le suivi de votre œuvre : les commerciaux et l’attachée de presse lui accorderont forcément plus de soutien dans une maison si elle ne sort que trois livres par mois ; ils ne seront pas, comme dans les grosses, confrontés à la terrible question : « Alors, lesquels je prends ? ».
Ces quelques idées vous paraîtront peut-être subjectives.
Je vais donc passer à un cas pratique, chiffres et noms à l’appui :
Avant de réaliser sa sélection finale (14 auteurs), le Festival du premier roman (Chambéry), mène une première sélection parmi les 400 premiers romans qui paraissent chaque année (le chiffre peut varier entre 300 et 500). Pour cela, les organisateurs ne vont évidemment pas avaler les 400 romans : ils vont en sélectionner 100, ceux qui auront bénéficié d’une meilleure mise en avant de leurs éditeurs, ceux dont on aura un peu parlé dans les médias.
Si toutes les maisons d’édition étaient aussi accueillantes aux premiers romans, si elles faisaient toutes le même effort de mise en avant de leurs poulains, leurs « parts de marché » dans cette liste de 100 devraient être similaire à leur poids sur le marché de l’édition.
Il n’en est rien. Sur les « 100 premiers romans » retenus, voici le hit-parade.
8 sur 100 pour Stock
7 sur 100 pour Le Seuil
6 sur 100 pour Flammarion
4 sur 100 pour : Denoël, Albin Michel
3 sur 100 pour : Le Cherche-Midi, Panama, Philippe Rey, Gallimard, Transbordeurs, Triptyques, Robert Laffont.
2 sur 100 pour : Héloïse d’Ormesson, Le Castor Astral, Liana Levi, P.O.L., Ramsay.
1 sur 100 pour : Allia, arHsens, Arléa, Au Diable Vauvert, Belfond, Bernard Campiche, Boréal, De Borée, Anne Carrière, Delphine Montalant, Fallois, Gaïa, Grasset, Hachette, Hachette Littératures, HMHurtebise America, L’Altiplano, L’Amourier, L’écailler, L’instant même, L’Olivier, Lattès, Le Rocher, Le Rouergue, Le temps qu’il fait, Leo Scheer, Les 400 coups, Maren Sell, Mercure de France, Métaillié, Mutine, Phébus, Plon, Quidam éditeur, Table ronde, Thot, Verticales.
Le total fait bien 100.
Précautions diplomatiques :
1. Les chiffres sont valables sur une cuvée, on ne peut en tirer de ratios immuables
2. Dans cette liste, il y a deux éditeurs dont je ne suis pas sûr (problème de transcription), mais ça ne change guère (ils pèsent 1% dans la liste)
3. Certaines petites maisons, très ouvertes aux néo-romanciers, ne figurent pas dans cette liste. Peut-être était-ce simplement une mauvaise année pour elles ; peut-être n’avaient-elles pas reçu assez de bons manuscrits.
Qu’en penser ?
Le résultat des petits et moyens éditeurs est d’autant plus impressionnant qu’ils reçoivent beaucoup moins de romans que les gros. Ajoutez à cela que les stars émergentes de l’année sont parfois happées par les gros, dès leur envoi.
Et pourtant, la liste est là : Panama, Philippe Rey, Transbordeurs ou Triptyques font jeu égal avec Gallimard ou Actes Sud. Liana Levi ou Le Castor Astral font mieux que Grasset ou L’Olivier.
Et plein d’autres pensées aiguës que vous êtes assez finauds pour émettre tout seuls. Elles sont les bienvenues dans les commentaires.
Remarque finale : et les très petits éditeurs, ceux qui ne sont pas mis en avant à la Fnac, ou pas dans toutes les Fnac ? Ne les négligez pas forcément. Ils peuvent être ponctuellement référencés selon les parutions. Et même si leur capacité de commercialisation paraît plus faible, ils peuvent être intéressants quand on débute. Des éditeurs comme "La Fosse aux ours" pour un premier roman , ou "Quadrature" et "D’un Noir si bleu" pour un premier recueil, peuvent être une excellente référence et obtiennent des ventes correctes par des circuits moins éclatants. Ils peuvent être un tremplin pour votre second.
Ne manquez pas la suite : dans la solution pilotée, tout est plus simple. Mais pas pour tout le monde. On en reparlera très bientôt, dans une prochaine chronique.