« C’était l’heure de midi, l’heure où le muezzin épie le soleil sur la plus haute galerie du minaret, et chante l’heure et la prière à toutes les heures. Voix vivante, animée, qui sait ce qu’elle dit et ce qu’elle chante, bien supérieure, à mon avis, à la voix machinale et sans conscience de la cloche de nos cathédrales. » (Alphonse de Lamartine, Des destinées de la poésie, 1834).
Qu’il est loin le temps où une star de la culture européenne vantait les mérites du muezzin sur les cloches de nos campagnes ! Aujourd’hui, bien installés dans le pays que Dieu leur a promis il y a quelques milliers d’années, les Israéliens ne sont pas du tout sensibles à la poésie de l’appel à la prière. Au contraire, après une première tentative, il y a dix de cela, avortée faute de majorité, le parlement devrait en principe ratifier dans quelques semaines une loi qui, dans les faits, imposera le silence aux minarets. En tout cas entre 23 heures et 7 heures du matin car, pour tenir compte des protestations du ministre de la Santé Yaakov Litzman, le projet de loi – qui, par équité, concerne les trois religions révélées et on peut donc s’attendre à ce que vienne le tour des clochers des églises… – a été réduit à ces seules heures, de façon à ne pas offenser la « rue ultra-orthodoxe » inquiète à l’idée que les sirènes annonçant le shabbat puissent être muselées elles aussi.
Dans la « seule véritable démocratie du Moyen-Orient », il va de soi qu’on ne saurait mettre en place une législation susceptible de discriminer une partie de la population. Non ! La loi en préparation a pour objectif de « préserver l’environnement sonore » des habitants, quelles que soient leurs croyances. Il s’agit donc d’une législation écologique en quelque sorte, pour mettre fin aux nuisances sonores dont souffrent ceux qui sont venus s’installer dans le pays en ignorant sans doute qu’on y lance l’appel à la prière depuis des temps fort anciens (mais néanmoins pas aussi immémoriaux que les promesses bibliques). Ce que le législateur israélien est loin d’ignorer d’ailleurs, car il ne lui viendrait certainement pas à l’idée de s’en prendre à la liberté de culte. S’il faut légiférer, c’est parce que les hauts-parleurs, comme le rappelait un savant rapport rédigé lors des premières discussions, se sont substitués à la voix humaine. Et aussi, hélas, parce qu’ils servent de temps à autre à véhiculer de haineux (sic) messages nationalistes (propalestiniens, cela va de soi).
Il faut par conséquent que les Palestiniens soient de très mauvaise foi (sans jeu de mots) pour résister à une législation qui soulagerait leurs oreilles. Ils prétendent en effet qu’il n’était guère besoin d’écrire une nouvelle loi puisque des mosquées trop bruyantes sont d’ores et déjà condamnées, le cas vient encore de se produire, au titre d’une réglementation sur les « pollutions et les nuisances ». À les écouter, il s’agirait, une fois de plus, d’une mesure discriminatoire à l’encontre des musulmans puisqu’un aménagement a été trouvé pour les sirènes de shabbat. Et la nouvelle mesure porterait même atteinte « à la vie et à la culture » dans le pays. Encore un peu, et les descendants putatifs des Philistins en appelleraient au « patrimoine immatériel » que prétend sauvegarder l’Unesco, une organisation qui, comme le rappelle fort justement Shmuel Trigano dans Le Figaro, n’hésite pas à « réécrire l’histoire de Jérusalem » !!!
Sûre d’elle-même (mais pas « dominatrice », ça c’était de Gaulle en novembre 1967 : vidéo ici), la société israélienne ne craint pas de laisser la parole à ses adversaires, y compris dans le temple sacré de sa démocratie. On a pu ainsi assister au spectacle étonnant d’un député arabe, Teleb Abu Arar (أبو عرار : par ailleurs imam et muezzin « dans le civil »), appelant à la prière après un petit discours, en hébreu dans le texte, à la tribune de l’assemblée (vidéo, qu’il faut vraiment regarder, ici). Quant aux habitants de Jérusalem, l’occupant les a laissés s’époumoner à leur guise, en se disant probablement qu’ils finiraient bien par se fatiguer de cette inutile protestation (vidéo ici)
Si l’on doit continuer sur la même lancée, on peut imaginer qu’après la prière ce sera au tour de la langue arabe d’être interdite en Israël. Non pas que le gouvernement israélien souhaite le moins du monde provoquer la minorité arabe qu’il accueille sur son territoire, en dépit de son ingratitude (et alors qu’il y existe ailleurs, comme personne ne l’ignore, tellement de terres arabes qui ne demandent qu’à être davantage mises en valeur). Mais le premier devoir des autorités est de veiller au bien-être de leurs citoyens. Et comme l’a très bien perçu le gérant d’un établissement de la chaîne CaféCafé qui a donc intimé à ses employés arabes de service le commandement de se taire (dans leur langue natale), les Israéliens se sentent « menacés » quand on parle arabe devant eux. On peut donc s’attendre à de nouveaux progrès dans la provocation législation. D’ailleurs, dans le même ordre d’idée, on se penche aussi en Israël sur un texte qui destituerait d’office un député (arabe) qui prétendrait soutenir le mouvement de boycott des produits fabriqués dans les colonies implantées en territoire occupé.
Pour ceux qui se demanderaient comment évoluent les choses dans les pays voisins, on rappellera que le gouvernement égyptien, sans arsenal juridique, a réussi à mettre en place, depuis l’été 2010, une « centralisation des appels à la prière » qui a en quelque sorte court-circuité le tapage quelque peu anarchique des hauts-parleurs de trop bonne volonté. (Une pièce de théâtre a été montée il y a quelques années sur le sujet, et la bande-annonce vaut le détour.)
Et pour finir en beauté (quoique…), je vous propose ce très étrange remix de l’appel à la prière et de l’Ave Maria, « risqué » (car il a bien entendu soulevé des protestations de puristes) par un candidat algérien pour la huitième édition de la Star Academy, en 2011.