La suite c'est comme toujours avec Brautigan une histoire qui part dans des directions totalement imprévisibles et des personnages échappés d'un univers à mi-chemin de celui des films des frères Coen et d'un Bukowski propre sur lui. Un truc inclassable, un style météorique et qui souffle sans cesse le chaud et le froid. Et posées sur une écriture parfois minimaliste des métaphores qui font mouche, des inspirations enlevées qui changent tout : "Un chauffeur avec un cou gros comme un troupeau de buffles."
Parfois il en fait un peu trop et parfois on sent que c'est la facilité qui prend les commandes mais cela ne dure jamais bien longtemps, il y a toujours au détour d'une page un mot, une expression, une métaphore qui vous saisit et qui vous retourne pour de bon. Un truc qui vous remet dans le droit chemin et vous rappelle que vous êtes chez Brautigan et qu'ici, la déco n'est pas la même que chez les autres. Quant aux personnages... "Elle était assise tout près de moi et son haleine ne sentait pas du tout la bière. Quand je pense qu’après avoir fini les six bières elle était tout de suite remontée en voiture sans aller aux toilettes : à se demander où la bière avait bien pu foutre le camp."
Brautigan a longtemps été un auteur incompris et du reste, je ne suis pas sûr qu'il soit mieux compris depuis qu'il est mort. Quand je vois que certains le réduisent à quantité négligeable ou auteur de divertissement, je me sens un peu triste. Célébré par les hippies, adoubé par les nihilistes, reconnu par la génération beat, il n'était sûrement de nulle part et d'aucun mouvement car il ne rentrait dans aucune case. Et c'est justement ce qui en faisait tout le charme. Il était une météore qui n'a pas vraiment trouvé une place où il se sente chez lui et cette mélancolie d'un paradis perdu qu'il cherchait entre les interstices de la vie se ressent dans tous ses livres. Après tout, n'a t-il pas écrit : "Nous avons tous une place dans l'histoire. La mienne c'est les nuages"... Alors si vous vous sentez de taille à lire un morceau de nuage un de ces quatre, essayez donc un Brautigan, n'importe lequel. Faudrait que ce soit remboursé par la sécu.
Extrait :
"J'ai trouvé mon copain de la morgue au fond, dans la salle d'autopsie, en train de contempler les seins morts d'un cadavre de dame allongé sur une table. Il était complètement absorbé dans la contemplation de ses nichons.
Elle était belle, mais elle était morte."