Quelles que soient les difficultés pour définir les contours de l’exposition « Soulèvements » au Jeu de Paume à Paris, des manifestations anticatholiques à Londonderry en 1969 aux œuvres de Raoul Hausmann, des mouvements étudiants de mai 1968 au projet d’Art & Language, ne jetons pas la pierre (une de plus) au commissaire d’exposition qui a mis en scène cet argument pour une présentation ambitieuse qui laisse apparaître cependant des sentiments mêlés. Car c’est bien un argument ambivalent qui relie dans un même objectif tous les documents présentés au Jeu de Paume : « Ce qui nous soulève? Ce sont des forces : psychiques, corporelles, sociales. Par elles nous transformons l’immobilité en mouvement, l’accablement en énergie, la soumission en révolte, le renoncement en joie expansive ».
C’est à partir de cette proposition que l’exposition entend réunir dans une même grille de lecture l’ « Élevage de poussière » de Man Ray/Duchamp des années Vingt, les diagrammes d’un tremblement de terre choisis par Joseph Beuys, les révoltes de mai 1968 , les « Quarante sept piques » d’Annette Messager pour ne prendre que ces quelques exemples. Il serait injuste de rejeter en quelques phrases lapidaires un travail dense dont témoigne le livre-catalogue. Mais comme nous n’en sommes pas à un soulèvement près, peut-être pouvons nous user de cette liberté contestataire à l’endroit de l’exposition elle-même ?
« Portrait d’Herwarth Walden à Bonset Raoul Hausmann
Car associer dans une même logique la rébellion orchestrée des objets de Roman Signer et l’engagement politique des groupes, des sociétés, des peuples semble accorder au mot soulèvement à la fois un contenu polymorphe et une élasticité démesurée. A lui seul le soulèvement politique suffit déjà à embrasser tant de phénomènes de la révolte à la révolution ( de l’émeute à l’insurrection, de la mutinerie au putsch, de la jacquerie à la sécession), que l’on peut s’interroger sur le nombre de mots qu’il faudrait-il mobiliser pour cerner toutes ces facettes du soulèvement avant même de se risquer à établir des liens éventuels avec tous les autres apparences du soulèvement qui échappent à la motivation politique.
Grève aux usines Javel-Citroën 1938 Willy Ronis
Ce soulèvement politique trouve souvent son épicentre dans les rapports sociaux d’une organisation du travail, d’une confrontation ethnique, culturelle, religieuse, s’exprime par l’émergence des analyses politiques, des engagements militants, de la mise en avant d’hommes et de femmes qui prennent à bras le corps cette histoire en train de s’écrire. Ramener un tel investissement militant au plan du jeu personnel de l’artiste peut donner le sentiment de brouiller les pistes, voire de dévaluer le sens de cette notion d’engagement, la portée du risque pris. Non pas que l’engagement de l’artiste soit quantité négligeable mais le risque pris lors de l’émeute ou de la mutinerie constitue un danger vital pour ceux qui se lancent à corps perdu dans ce combat.
Même si « Dada soulève tout ! » , est-il réellement possible de mettre sur un même plan, associer dans un même mot les postures du jeu artistique et de l’engagement politique ?
Ce qui, au bout du compte, m’est apparu comme le plus pertinent, et qui, peut-être, aurait pu à lui seul constituer le fil rouge de l’exposition, se trouve dans le croisement effectif entre les soulèvements de l’histoire et le travail des artistes. Deux exemples : la photographie de Willy Ronis témoignant des luttes sociales aux usines Javel-Citroën en 1938 et le ciné-tract Godard/Fromanger dont le drapeau tricolore voit le rouge envahir progressivement toute sa surface. A travers ces deux exemples apparaît, me semble-t-il, avec force la solidarité entre acteurs militants et artistes ou soulèvement et engagement s’associent dans un seul et même acte concret.
Photos: Jeu de Paume
« Soulèvements »
Commissaire de l’exposition : Georges Didi-Huberman
Du 18 octobre 2016 au 15Janvier 2017
Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75008 Paris