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Si la Cour rappelle que l'élément moral de l'escroquerie ne s'apprécie pas au regard du but poursuivi par le prévenu, elle ne casse pour autant pas l'arrêt de la Chambre de l'instruction, mais va analyser les circonstances de l'affaire pour rejeter le pourvoi. Ainsi, la Cour de cassation dépasse la caractérisation de l'infraction elle-même pour retenir que compte tenu des éléments qu'elle relève (enquête sérieuse réalisée par un journaliste sur un sujet d'intérêt général) son incrimination serait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression. Si cet arrêt n'est pas rendu au visa de l'article 10 de la CEDH s'agissant d'un arrêt de rejet, il est fortement imprégné de la jurisprudence européenne fondée sur ce texte tant dans le contrôle qu'il effectue que dans les principes qu'il rappelle. La Cour de cassation effectue en effet un contrôle de proportionnalité dans une démarche qui emprunte à celle de la Cour européenne pour vérifier si l'incrimination d'escroquerie serait en l'espèce, même si le terme n'est pas employé, "nécessaire dans une société démocratique" suivant la formule européenne consacrée. L'arrêt de la Cour de cassation rappelle de plus, dans le choix des termes, les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme qui retiennent de manière constante (i) que la presse joue un rôle éminent, un "rôle de chien de garde" dans une société démocratique et (ii) qu'il lui incombe de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général pour lesquelles (iii) les restrictions à la liberté d’expression appellent une interprétation particulièrement étroite. L'originalité de cet arrêt réside dans le fait que la Cour de cassation applique ces principes à une infraction de droit commun – dont elle ne dit d'ailleurs pas qu'elle n'est pas caractérisée – et donc en dehors du cadre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ce qui démontre sa volonté de réaffirmer l'importance de la liberté d'expression.
On avait déjà trouvé trace de cette démarche dans le jugement rendu dans l'affaire Bettencourt par le Tribunal correctionnel de Bordeaux du 12 janvier 2016, s'agissant de l'infraction d'utilisation d'un document ou d'un enregistrement obtenu par une atteinte à la vie privée prévue à l'article 226-2 du code pénal. La Cour de cassation affirme ici clairement sa volonté de contrôler la proportionnalité d'une sanction appliquée à un journaliste, ce qui peut permettre de penser que cette grille d'analyse pourra s'appliquer à différentes infractions de droit commun souvent invoquées contre la presse. Enfin, cet arrêt complète un arrêt rendu par la même chambre de la Cour de cassation le 30 mars 2016 qui avait retenu que le procédé d’infiltration, qui permet de révéler certaines réalités sans les provoquer, n’est pas une manœuvre frauduleuse passible d’être sanctionnée sur le terrain de l’escroquerie. Ces jurisprudences devraient donc tarir un contentieux qui s'était développé depuis quelques années tentant de faire sanctionner judiciairement le procédé journalistique de l'infiltration.
A propos de l'auteur : Caroline Mas est avocat à la cour chez Péchenard & Associés.