(feuilleton) Cécile Riou, "Phrase unique", 8

Par Florence Trocmé

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(…) laquelle exerce sa majesté comme elle l’entend, froide et pénétrante comme un drap mouillé brutalement, comme le cri du corbeau qui fait craquer le ciel, comme le regard effilé en rapière de François Premier – qui a peint ce Clouet, déjà ?–  à qui on n’a pas envie de faire des guili-guili, à qui on n’a pas envie de proposer des taguiliatelles, car la question italienne peut être délicate, à qui on se refuse de lire une histoire de liberté, de ligue du Nord, de lys coupés, de Lysandre qui ne lui ferait pas lisser sa moustache, ni livrer une autre bataille – mais qui sait à quoi correspond Marignan, ou la bataille de Lee, dite plutôt Appomatox ?– tout ce à quoi on préfère aujourd’hui Amélie (…)
(…) ou bien Matteo, à supposer que le cacao qui orne son enveloppe vienne s’assembler au beurre de la crème du même nom, au glaçage du même nom pour décorer en spirales onctueuses, un peu écœurantes, ces petits gâteaux auxquels on donne un nom anglais, ou même américain, que l’on peut parfumer autant qu’on le souhaite, par exemple à la mandarine, à supposer que l’on souhaite ici célébrer certaine enfant pour certain jour spécial, pour certaine festivité festive au cours de laquelle on dira adieu (une fois n’est pas coutume employons un terme radical et sévère,  mais juste) à ses huit ans, qui ne reviendront pas autrement peut-être qu’à travers la matérialité de ce poème, peut-être de photos plus tard assemblées en album annoté, ou pire, en carton de boite à chaussures, sans autre support mémoriel que les chiffres dateurs électroniquement imprimés par les bons soins de l’entreprise Phox développeur de photographies numériques, qui ne tient du renard ni par la grâce ni par la ruse, ni par la rousseur des photos vieillies, sinon artificiellement et instantanément au moyen de filtres que l’on appliquerait à son téléphone (à supposer qu’on ait auparavant téléchargé l’application idoine), loin du téléchargeur l’idée de développer un jour les photos sur papier glacé (…)
(…) ou bien Héloïse, qui doit bien se soucier comme d’une paille de la poutre dans le chantier du voisin, de l’épaule du chanteur de sa voisine, comme une cerise de la poutrelle dans l’enchantement de la proximité, comme d’une flammèche du corail de la grande barrière, Héloïse qui à n’en pas douter file comme le vent sur son vélo blanc, sans écraser les jonquilles (on est au printemps, on les regarde d’un œil attendri, qui dit « le printemps revient, on ne l’avait pas oublié ») , Héloïse qui ne connaît pas Abélard, et c’est bien comme ça, Héloïse qui ne fronce pas le sourcil quand on lui dit « cet après-midi il y aura dix-neuf degrés, on enlève les chapeaux et les collants », au contraire elle compte :  un treize, un onze, l’un dans l’autre un alexandrin variable, elle enfonce son bonnet sur ses sourcils, appuie fort sur la pédale, file comme le vent, sans écraser ni poutre, ni paille, ni cerise ni jonquille, parce qu’(…)
(…) il n’y a rien à écraser, pas plus que le H de Tomas n’aurait disparu dans quelque entravement, dans quelque serrement (dans quelque entrave on sent le fer mouillé, pas encore la rouille, pas encore le Cripure aigre qui ne sort plus de son amas de petits chiots affectueux),  si le H disparaît alors on s’estime bien contents, tout redevient plus lisse et calme, « on se demande si les efforts porteront leurs fruits », il faudrait pour cela donner des coups de marteaux fermes, ne pas jouer une symphonie pour autant, mais rabattre leur caquet aux petits clous agressifs et inutiles, au mieux blessants, et cela gratuitement(…)