Verbaliser le client. Les contrôleurs du métro

Publié le 21 juin 2008 par Anonymeses
Verbaliser le client. Les contrôleurs du métro. Un ouvrage d’Eleonora Elguezabal (Aux lieux d’être, décembre 2007 ; 178 p., 12,50 €)

Contrôleurs, un métier valorisant ? Cette question peut sembler saugrenue du point de vue des clients. Cependant leur rôle au sein de la RATP a effectivement changé, suivant l’évolution des objectifs de l’entreprise, portée davantage vers la rentabilité et la qualité du service, que vers l’extension des lignes et leurs fréquences. Cette évolution est liée au désengagement de l’Etat dans le financement et la gestion de l’entreprise publique. Ainsi, la répression, qui représente une source de revenu non négligeable mais dont la contrepartie est l’augmentation des accidents du travail, est préférée à la présence continue d’agents aux entrées, plus coûteuse pour l’entreprise. L’enquête d’Eleanore Elguezabal repose sur un travail ethnographique articulant cette évolution des logiques du contrôle au niveau de la direction avec les pratiques quotidiennes des agents de terrain. Son approche permet d’appréhender les multiples facettes d’un métier au fonctionnement et pratiques complexes, et dont la prise en compte des dimensions interactionnistes permet de mieux en comprendre la vision positive qu’en ont les contrôleurs. En effet, ces agents ont une position subalterne mais ils bénéficient également d’avantages salariaux (liés pour une part au nombre d’amendes récoltées) et d’avancement de carrière. Ils proviennent soit des équipes présentes dans les stations, des guichets par exemple, soit sont spécialisés dans le contrôle.

La position dominée des guichetiers est renversée dans le cas du contrôle. L’interaction entre les contrôleurs et les clients est en partie encadrée par les directives de l’entreprise. Il s’agit pour eux d’être « à la fois commercial et répressif ». Cette injonction est vécue comme paradoxale car elle tend à remettre en cause la crédibilité et la fonction répressive des agents. Ainsi par exemple, les contrôleurs peuvent proposer aux fraudeurs d’acheter une carte mensuelle et échapper à l’amende.
Les contrôleurs sont recrutés sur le volontariat, cela peut s’expliquer par le rapport à l’activité de guichet qui est souvent vécue comme dévalorisante, servile. Au contraire le contrôle repose sur une logique plus active et moins routinière. Ainsi, un des éléments explicatifs du jugement positif porté par les contrôleurs sur leur métier tient à la liberté qui le caractérise. Le sentiment d’une impunité des clients, « le client est roi » explique également le choix des agents pour le contrôle. Le ressentiment que les agents ont avec certains types de voyageurs, explique leur choix pour le contrôle et le moment du contrôle. Ainsi un agent dit préférer travailler le soir car la clientèle est composée de plus de marginaux alors qu’en journée les personnes des catégories sociales supérieures sont plus présentes. Cet agent se sent rabaissé à leur contact, notamment car ces personnes contestent davantage son action, ce qui n’est pas le cas des marginaux, avec lesquels il a en général des relations plus détendues. Ainsi, verbaliser « des gens en costume » est une petite victoire pour les agents.

Il ressort que la marge de manœuvre, le code de déontologie des contrôleurs dans l’établissement d’une amende, est un élément déterminant dans le choix de l’activité de contrôle, par rapport au guichet, où cette liberté n’existe pas. « Le discernement donne lieu à des discriminations interactionnelles », les agents tenant compte du déroulement de l’interaction dans leur traitement de l’infraction. Une personne qui marchande sur l’amende pourra au final s’attirer l’hostilité des agents alors que ces derniers étaient prêts à assouplir leur sanction. Cette réaction se comprend par la volonté qu’ont les contrôleurs de rester maîtres de l’interaction et de pouvoir en déterminer l’issue de façon à préserver leur sphère de pouvoir. Dans le deuxième chapitre, l’auteure montre en quoi les contrôleurs sont amenés à développer une « intelligence des interactions ». Cette compétence repose sur une maîtrise de ses réactions, en particulier quand les clients refusent de se soumettre à l’amende ou quand ils cherchent l’affrontement avec les agents. Ce contrôle de soi passe par un travail réflexif sur ses pratiques, ses réactions. Il permet également de conquérir sa place dans la hiérarchie professionnelle et de se distinguer des agents de guichet qui ne maîtrisent pas cette compétence. Cette hiérarchie reprend en partie celle qui différencie les ouvriers spécialisés des ouvriers qualifiés.

Cet ouvrage est au final très intéressant car il permet de mieux comprendre plusieurs problématiques autour du travail. Premièrement, il illustre le mouvement actuel de rapprochement entre des emplois subalternes et les publics. Cette évolution est en particulier étudiée par Olivier Schwartz [1] qui travaille sur les conducteurs de bus de la RATP. Les compétences relationnelles deviennent ainsi un élément qui concerne davantage ces emplois et expliquent un recrutement croissant de jeunes issus de la démocratisation scolaire. Ainsi, la nécessité de maîtriser ses réactions, de respecter les injonctions de la direction, et d’avoir une attitude réflexive est davantage le fait des jeunes générations ayant acquis en partie cet éthos à l’école. Cet ouvrage illustre très bien, dans un style accessible et agréable, les nouvelles évolutions des emplois subalternes, appartenant en général au secteur tertiaire.

Par Benoit

[1] Olivier Schwartz « Quelques réflexions sur la notion de classes populaires », conférence, jeudi 24 novembre 2005, ENS-LSH : http://socio.ens-lsh.fr/conf/conf_2005_11_schwartz/conf_2005_11_schwartz.php.