D'après "Le merle blanc", conte en prose d'Alfred de Musset
Formaient un ménage exemplaire.
IIs avaient élu domicile
Tressé de confortables brindilles.
Chaque jour, à l'heure du thé,
Les meilleurs vers de terre
Et les plus fins coléoptères.
Ils n'eurent aucune querelle
Jusqu'à mon arrivée sur terre.
Elle jura ne pas avoir d'amant.
Moi, j'ai tenté à ma manière
D'adoucir les humeurs de mon père :
"Est-ce ma faute, mon papa,
Il fit taire mes parlotes
De coups d'aile puissants.
Quelques jours plus tard,
Il m'entendit vocaliser
S'approchant, il m'a lancé :
-"Est-ce ainsi qu'un merle siffle ? "
Et je reçus une paire de gifles.
Ne supportant pas son courroux,
Je me jetais à ses genoux.
Il n'eut que faire de mes soupirs.
Alors, je décidais de m'enfuir.
J'ai volé longtemps. Vers vingt heures,
J'ai croisé un pigeon voyageur.
-"Quel est ce papier collé
-"C'est un message important
Destiné banquier Nathan."
-"T'accompagner me ferait plaisir."
-"Pourquoi pas, si tu le désires."
Mais le biset allait comme le vent.
À le suivre, je fus vite épuisé :
-"Posons-nous, s'il te plait, un moment. "
Sans même tourner la tête,
Il répondit d'un air méprisant
Et l'œil fixé droit devant
-"Va au diable. Tu m'embêtes.
Moi, je poursuis mon voyage."
Alors, j'ai piqué vers une plage
M'apportait le petit déjeuner :
Grains mûrs et baies raffinées.
-"Marquise (ce devait en être une),
Le globe-trotteur de fortune,
Que je suis, vous remercie
Car mon postillon a filé d'ici
En emportant mes bagages
Et mes graminées de voyage."
Elle me dit d'un ton doux :
"Vous êtes une pie russe.
Elles sont blanches, les pies russes !"
Son aile caressa mon cou
Tel un éventail libertin.
Et elle m'a fougueusement embrassé.
Mon cœur battait comme un tambour
Car j'ignorais tout de l'amour,
-"Douce amie, connaissez-vous le dicton :
''Connais-toi toi-même'' ?
Suis-je une pie russe, oui ou non ?
Pour moi, cette question reste un dilemme,
La profonde angoisse de ma vie.
Alors, confirmez-moi vite votre avis."
-"Oui. Je vous le dis sans fard.
Vous venez du pays des tsars,
J'entonnais une ritournelle
Mais ma voix de crécelle
Puis bientôt s'envoler.
Je décidai de rentrer à Paris.
Mes yeux étant noyés de pleurs,
Je n'ai pu éviter, comble de malheur,
Un chauffard fonçant en sens contraire.
Nous chutâmes et avons atterri
Sur le dos, les quatre fers en l'air.
Quand j'eus retrouvé mes esprits,
Je constatais que ce fou du volant
Était comme moi vêtu de blanc !
-"Aucun doute, nous cousinons.
Quel est, je vous prie, votre nom ? "
-"Je suis le grand poète Katogan.
Après mes voyages rapides,
Mes dures pérégrinations,
Je mets en vers mes impressions.
J'ai pondu des compliments
Troussés successivement
Pour la Ligue, le Roi, la République,
L'Empire, la Restauration
Maintenant j'éreinte les patrons.
J'ai produit des distiques piquants,
De sublimes anthologies,
Des vaudevilles cendrés,
Pardon. Je parle trop. C'est mon vice.
Que puis-je pour votre service ?"
-"Si nos plumages sont similaires
Sommes-nous parents pour autant ?
Ecoutez-moi maintenant
Si vous reconnaissez dans ma voix
Celle de notre parenté."
Puis s'est sauvé en catastrophe.
Après cinquante kilomètres,
Je me suis posé sur la cime d'un hêtre
Occupée par deux amoureux.
Le fiancé, par trop soupçonneux,
D'un puissant direct du droit
M'a envoyé au tapis, juste à l'endroit
Où une gelinotte couvait.
Son triple ventre m'évoquait
Débordant de tous côtés.
"Va-t'en, m'a dit cette pimbêche
Tu prends toute la place !"
Et je suis reparti la queue basse.
Avant de voir au petit jour
Pour mon plus grand soulagement
De Notre-Dame les deux tours.
J'ai cherché mes frères.
Pénétré d'une grande tristesse,
Je ne pouvais plus ni manger ni dormir.
Et puis j'étais toujours torturé : oui ou non,
Mon espèce portait-elle un nom ?
C'est alors que j'ai intercepté
D'une mère s'adressant
À la nounou de son enfant :
"Je ne sais plus que faire d'Albert.
Il enchaîne colère sur colère.
Si vous calmez cette vilaine bête,
Que je vous offre un merle blanc."
Dieu juste ! Je suis blanc
Je suis donc l'introuvable perle,
L'inestimable joyau de ma race.
O Seigneur, mille grâces !
Plus question de m'affliger
Mais bien de me rengorger !
Oui, je suis fier de mes rémiges.
À la recherche de mon semblable ?
Mon génie incomparable
Aux misérables engeances
Qui nient avec suffisance
L'existence des merles blancs.
Je prétends, sans faux-semblant,
Descendre du Phénix, ni moins ni plus.
Et foin des volatiles russes !
Les partitions de Mendelssohn
Et les œuvres de lord Byron.
Ces grands hommes vont m'inspirer
Des chants purs, raffinés.
Le public d'aujourd'hui,
J'irai à Venise. J'y louerai tout de go
Le superbe palais Mocenigo.
Les critiques me couvriront de louanges.
Mes odes sentimentales
Inspirées de Virgile ou Juvénal
Feront soupirer les mésanges,
Fondre en larmes les bécasses,
Sangloter les nobles rapaces
Pleurer les jolies tourterelles.
J'écrirai un rôle pour Rachel.
Si elle refuse de l'interpréter,
Je ferais savoir au monde entier
Que son talent est aussi mince
Que celui d'une actrice de province.
Je rédigerai un long poème
Dont le sujet sera moi-même
J'y conterai talentueusement
Ma solitude et mes tourments
Plus quelques détails domestiques
Piquants ou mélancoliques.
La description de mon écuelle,
Pour ne parler que d'elle,
Remplira quatorze chants :
J'en montrerai le dedans,
Les côtés, le fond, le dessous.
Je conterai les bosses, les trous
Les taches, les rainures,
Les reflets, les ébréchures...
Je découperai avec méthode
En d'innombrables épisodes
Afin que nul ne soit tenté
De sauter un passage important
Ou un argument marquant.
Bien entendu, sera traité
L'avenir de l'humanité,
Majeure préoccupation
De toutes les populations.
Je recevrai évidemment
D'enthousiastes compliments,
Et des déclarations d'amour
Plus brûlantes de jour en jour.
Deux merles se sont présentés.
Ils disaient être de ma parenté.
-"Monsieur, dirent-ils en m'embrassant,
Vous êtes un écrivain éblouissant,
Vous avez traduit à merveille
La souffrance du génie méconnu,
Et la tristesse du poète ; quel rendu !
Comme nous vous comprenons
Car nous aussi nous éprouvons
Les angoisses dont vous parlez."
-"Messieurs, dis-je, vous me comblez !
Mais cette profonde mélancolie,
La vôtre, d'où vous vient-elle ?"
L'Africain me répondit :
-"Regardez, cousin fraternel,
-"Et moi, fit l'Américain,
Et mon habit d'Arlequin.
Les polissons me montrent du doigt."
-"En effet, c'est fâcheux.
Mais il faut en prendre son parti
Et se montrer courageux.
Ce n'est qu'un moment à passer."
Je ne cessais de me désoler
D'être resté célibataire
Quand, d'une jeune merlette,
Je reçus le billet peu ordinaire
Que voici : ''Cher grand poète,
J'ai pour vous tant d'admiration
Que je prends la résolution
De vous écrire ce dimanche,
Moi, pauvre merlette blanche,
Pour vous demander l'honneur
De m'accorder un rendez-vous.
Vous rencontrer ferait mon bonheur.
J'ai répondu à cette petite
D'accourir chez moi au plus vite.
Elle était ravissante, ma foi,
Encore plus blanche que moi.
Ait voulu croiser mon chemin
Que j'ai demandé sa main.
Puis nos amis ont dévoré
Des graines et cirons à la louche.
Un grand bal clôtura la soirée.
Pourtant, dès les jours suivants,
J'observais un fait inquiétant :
Lors de ses ablutions du matin
Ma femme bloquait la salle de bain.
J'avais beau m'user les poings
Bernique, elle n'ouvrait point.
Une odeur saumâtre et forte.
En furetant, je découvris
Parmi les accessoires de toilette
De ma coquette merlette
-"À quoi te sers cette médecine ?"
-"Lorsque je me sens lasse
J'en bois une petite tasse.
C'est un reconstituant
Puis, coupant court aux questions,
Elle changea de conversation :
-"Voici, chéri, mon dernier manuscrit.
Il s'intitule ''Amours d'Islande''.
Dans le style de George Sand
En imaginant tes immortels
Moments passés avec elle."
L'esprit de ma femme, en vérité
N'avait d'égal que sa beauté.
Elle s'inspirait de thèmes antiques,
Relatait des faits dramatiques
(Filouteries, meurtres, rapts d'enfants...),
Critiquait le Gouvernement
Et militait pour les merlettes.
à suivre