L'écrivain irlandais William Trevor est mort à l'âge de 88 ans, a annoncé son éditeur. lauréat du Whitbread Prize en 1994, nommé quatre fois parmi les finalistes du Man Booker Prize - qu'il n'a jamais obtenu -, il était particulièrement apprécié pour ses nouvelles. Mais c'est un splendide roman, traduit en 2012 par Bruno Boudard, qui m'a frappé: Cet été-là.
Ellie est heureuse, parce
que son bonheur est sans ambition particulière. Orpheline, elle a été engagée
comme gouvernante dans la ferme de Dillahan, veuf après un accident dont il
s’est toujours senti responsable. Les deux solitudes se sont rapprochées, le
mariage a suivi, malgré la différence d’âge. Dillahan est un homme bon, plein
d’attentions pour une jeune épouse qui le seconde parfaitement. Le couple
repose sur une complémentarité de bon aloi, tout le contraire d’une passion
amoureuse. Dans l’Irlande des années cinquante, où la famille est une structure
aussi sociale que religieuse, la situation n’a rien de particulier.
Mais la simplicité avec
laquelle Ellie mène une existence peu propice aux contacts extérieurs la rend
plus fragile devant l’inattendu. Quand, à l’enterrement de Mrs Connulty,
notable de Rathmoye et fidèle aux bonnes œuvres de la paroisse, Ellie voit un
jeune homme prendre des photos, elle ignore encore le séisme qui se prépare.
Dans un premier temps, d’ailleurs, toute la ville s’interroge sur la raison de
ces photos qui semblent incongrues, et au moins inhabituelles. Pourquoi
photographier un service funèbre ?
En réalité, Florian, qui
s’essaie à la photographie faute d’avoir le talent d’aquarelliste de ses
parents, est tombé par hasard sur le cortège. Il était venu à Rathmoye pour
prendre des clichés d’un cinéma incendié, cherchant dans un sujet sinistre le
déclic qui ferait de lui un artiste, ou au moins lui permettrait de s’en
approcher.
Au contraire d’Ellie,
Florian est un homme libre, et même un homme indécis sur son avenir. Il s’est
retrouvé un peu malgré lui dans la région après le décès de ses parents, il n’a
pas l’intention d’y rester et caresse le projet de vendre la maison familiale,
ainsi que tout ce qu’elle contient, avant de partir vers Dublin, première étape
d’une autre vie.
Ellie et Florian n’ont
rien en commun. Sinon que celui-ci trouve celle-là séduisante, et qu’elle n’est
pas insensible au charme du jeune homme. Cet
été-là ne sera pas comme les autres…
William Trevor, quatre
recueils de nouvelles et six romans traduits en français avant celui-ci,
compose son récit à la manière d’un aquarelliste – en guise peut-être d’hommage
aux parents de Florian. Chaque touche nouvelle interdit le remords dès qu’elle
est posée sur la page, et la construction de l’intrigue amoureuse n’autorise
aucun retour en arrière. Pour Ellie, en particulier, consciente de trahir son
mari, consciente aussi des rumeurs qui courent les rues et qui font d’elle,
dans l’esprit du lieu et du temps, une dépravée.
Lumineux et grave à la
fois, le roman raconte un émerveillement provisoire, un engagement qui n’est
pas vraiment partagé entre les deux protagonistes. Il le fait avec une finesse
de sentiments telle que jamais on ne pense à se moquer de la naïveté d’Ellie,
emportée malgré elle, et malgré Florian qui n’en demandait pas tant, dans des
rêves irréalisables.
Bien des détails mériteraient d’être relevés.
Ils servent tous à nous rendre le décor et ses habitants plus proches, jusque
dans les gestes accomplis pour la bonne marche de la ferme. N’en citons qu’un,
car il survient comme le grain de folie qui apporte des vérités au mauvais
moment : Orpen Wren, vieux protestant, n’a plus toute sa tête et croit
vivre à une époque antérieure, mais il éveille des échos troublants dans son
délire apparent.