Intégrer l’émotion dans la communication digitale

Publié le 21 novembre 2016 par Philgerard

Ecrans d’information, murs d’image, le digital bouscule les codes de la communication visuelle dans les espaces publics et les locaux d’entreprise. A contre-courant des dispositifs classiques, Philippe Lepron, co-fondateur de Admemori, nous livre sa vision poétique et émotionnelle de l’affichage digital en entreprise.

Philippe Lepron, vous êtes le co-fondateur de Admemori, atelier de design digital ; vous proposez de repenser la fonction de l’affichage digital dans les entreprises, comment définissez-vous votre rôle ?

Notre rôle consiste à s’interroger sur l’impact que peut avoir l’image pour un public qui est en mouvement, occupé et souvent pressé, il lui est difficile de capter des signaux forts sur l’entreprise, ses valeurs, sa mission, ses engagements.
Nous réfléchissons à la manière de renforcer la mémorisation d’un message ou d’une information sans être dans un format intrusif. A la frontière des pratiques de l’art, du design et de la communication nous « texturons » l’image et ne faisons plus des films mais des objets en mouvement. Moins envahissants que des films de narration qui cherchent à convaincre, nous travaillons sur des formats qui jouent sur un registre émotionnel sans principe de début de milieu ou de fin. Cette approche permet ainsi de créer des marqueurs de souvenirs qui s’imposent sans effort dans le parcours utilisateurs.

Que reprochez-vous aux affichages dynamiques, tels qu’ils sont utilisés dans beaucoup d’entreprises ?

Qu’on arrête d’accrocher les écrans partout ! Aussi et surtout : place au contenu comme un élément de style. Sincèrement, qui s’intéresse à la météo alors qu’il pleut dehors ? Pourquoi nous mettre les chaines d’info en boucle dans le lobby d’une entreprise sans le son ? Qui a le temps de regarder un film en descendant l’escalator ? Tous ces contenus se ressemblent au fond. Non seulement ces images ne créent pas de différenciation mais affaiblissent la communication et finalement sont contre-productives.

Votre approche mise sur l’émotion, mais a-t-elle vraiment une place dans la communication d’entreprise ?

L’émotion est plus forte que la raison. Elle s’impose sans effort et est captée immédiatement sans avoir à digérer une litanie de conventions publicitaires que l’on retrouve systématiquement partout. Les films corporate sont pensés avec le son alors que dans l’espace public il n’y en a pas, on joue toujours sur une accumulation d’informations alors qu’on ne capte que quelques secondes du contenu. C’est toute notre vision, « less is more ». Ne  plus chercher à convaincre et laisser le visiteur s’abandonner dans l’image, presque dans une dimension hypnotique.

Quels conseils donneriez-vous pour améliorer l’efficacité de l’information corporate avec un affichage digital ?

Dans un lobby d’entreprise, les gens bougent, ils marchent. Partout, autour d’eux, des écrans qui cherchent à leur raconter des histoires avec une mécanique de film : début, milieu, fin. Laissez-moi vous assenez une évidence : que retient-on d’un film, si court soit-il, si on ne s’arrête pas pour le regarder ? Rien ou alors une image fugace qui croise notre regard.

  • Règle 1 : ne plus accrocher des écrans plats ici et là, mais bel et bien les contextualiser en imaginant des « objets » digitaux qui vont créer un événement dans le parcours de visite dans le lobby.
  • Règle 2 : ne plus faire des films « bavards » mais créer des images « hypnotiques » que l’on retient sans les regarder attentivement.

Quel doit être le format des écrans ?

Le format des écrans et leur contenu devraient-être intégrés aux planches de style des communicants … à la façon d’un mobilier, d’un tissu ou d’un matériau. Les écrans doivent avoir une utilité  esthétique : « contribuer à la décoration du lieu, créer un marqueur d’émotion fort, favoriser les éléments de souvenir du lieu, et renforcer la réception et l’appropriation d’un message. En effet, ces écrans sont quasi toujours accrochés, comme par obligation et la stratégie de contenu n’est jamais pensée comme un élément de décor pour capter l’intention mais comme un unique contenu de communication.

 Quels sont les points-clés pour réussir un affichage digital ?

  • L’information corporate doit être en cohérence avec l’architecture du lieu.
  • Elle doit être pensée en fonction des flux de circulation.
  • Elle doit être réfléchie pour un public en mouvement.
  • Elle doit puiser son inspiration des pratiques des différents courants artistiques et s’extraire des conventions publicitaires.
  • Sans début, sans fin et sans son, elle doit émerveiller, jouer avec des partis pris stylistiques, déclencher de l’émotion et plonger les visiteurs ou les collaborateurs dans un moment de contemplation.
  • Elle doit créer de l’engagement.

On voit bien l’intérêt de vos installations pour l’expérience-client et les parcours shopping, mais en communication interne ? Pour les salariés ?

Pour les salariés, l’enjeu est double. D’abord leur envoyer un signal fort sur une dimension technologique et positionner la marque dans son époque sur des valeurs d’innovation et de technologie. Ensuite, c’est concevoir des objets digitaux qui ont la force de renouveler l’intérêt tous les jours. Ce point est clef. On vient travailler tous les jours et souvent on ne voit plus son environnement. L’intérêt de notre format réside dans sa façon de s’extraire de l’image classique de télévision pour offrir un spectacle visuel puissant tant sur sa dimension plastique que sur sa capacité à se renouveler avec des contenus qui offre à chaque fois une surprise pour l’utilisateur.

Vous avez conçu en 2016 un parcours digital visiteurs informatif et artistique pour Cœur Défense, en quoi consiste ce dispositif ?

Ce parcours a été imaginé pour l’un des ensembles architecturaux business les plus importants d’Europe avec plus de 8000 collaborateurs. Dans le cadre de sa rénovation, ADMEMORI a imaginé un parcours digital informatif mais aussi artistique de 15 installations digitales totems de trois mètres de haut sur un mètre de large chacune implantées aux points stratégiques de circulation. La particularité de ce dispositif est qu’il a été imaginé comme des grands tableaux digitaux au contenu artistique pour proposer aux visiteurs un nouveau langage moins intrusif dans le monde de l’entreprise. Ce parcours informatif apporte de la lumière et de la chaleur à cet atrium minéral. L’accès aux différents points de services pour les collaborateurs devient dynamique.

Je pourrai également citer le lobby du groupe Eiffage, désigné par Jean-Michel Wilmotte, pour lequel nous avons créé une fenêtre digitale de 6m de long par 2m de haut qui joue d’un contenu, proche d’un artwork artistique qui reprend la typologie des matériaux de l’espace (verre, béton, serrurerie noire et percussion de rouge) et tous les autres comme City Light pour Solocal.

Quel est l’enjeu essentiel de l’affichage digital ?

L’essentiel, c’est d’abord la contextualisation : Comment je digère une information quand je bouge.  La question est comment mettre toutes ces technologies au service de l’espace public et entrer en relation avec des gens occupés. C’est tout notre engagement chez ADMEMORI : A pour Art, D pour Design et Memori pour travailler sur les marqueurs de souvenirs. Le meilleur chemin pour toucher la mémoire est l’émotion, d’ou notre signature Visual Poetry.

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