Billet paru initialement le 28.11.2014
Ce dimanche, certains iront aux urnes, désigner le champion de la droite et du centre à la prochaine élection présidentielle. Il y a deux ans, je m’interrogeais sur l’opportunité de rendre inéligible à vie les élus avec un casier. La question a encore tout son sens, et une réponse positive à cette question aurait largement changé l’exercice électoral en cours. Deux ans se sont écoulés depuis ce billet, ce qui permet de faire un état des lieux. Les choses ont-elles vraiment évolué ? Dans le bon sens ? À vous de juger.
Il y aurait beaucoup à dire, et beaucoup à faire pour remettre la France sur un chemin économique qui ne l’emmène pas droit au gouffre. J’ai déjà tenté d’apporter quelques modestes pistes ici ou là. Pour ce qui est de la vie politique, cependant, l’ampleur de la tâche nécessiterait plus qu’un peu de courage.
Et finalement, peut-être sont-ce les Français eux-mêmes qui détiennent quelques idées intéressantes, profondément cachées dans la confusion générale entretenue dans leurs esprits par les barbouillages de niaiseries télévisuelles et de gimmicks politiques tous aussi cons les uns que les autres qu’une petite élite s’emploie à leur fournir à toutes heures du jour et de la nuit. Parce qu’après tout, lorsqu’on leur pose quelques questions pertinentes, on obtient, chose étonnante, des réponses sans ambiguïté.
C’est ce qui a été fait au travers d’un sondage OpinionWay réalisé les 19 et 20 novembre auprès d’un échantillon de 1016 personnes, et que relate, avec une magnifique faute dans le titre, l’une de ces inénarrables notules AFP dont Libération est friande pour gaver ses colonnes par un pigiste à peu de frais. L’initiative a été lancée par un « nouveau mouvement citoyen », PowerFoule, que je ne connaissais pas mais dont l’idée mérite un petit développement dans ces colonnes.
Et c’est ainsi que l’on découvre, assez étonné, que 85% des Français se déclarent favorables à une inéligibilité à vie des élus véreux (et non « inégibilité », merci). Apparemment, il semble assez communément admis qu’être élu nécessite une certaine probité, et que le détournement de fonds, la corruption, la fraude fiscale et, de façon générale, cette souplesse assez phénoménale avec la loi et la morale d’une quantité toujours plus grande d’élus ne font pas bon ménage avec la vie politique.
Bien sûr, on peut tout à fait apprécier qu’en grande majorité, les Français aient finalement conservé une saine vision de la probité et de sa nécessité pour tenir un office public. Il n’en reste cependant pas moins que le décalage avec la vie réelle est assez stupéfiant puisque nos élus comptent un nombre assez consternant de repris de justice, de personnes coupables ou, au moins, jugées responsables d’exactions dont certaines entraînèrent la mort de leurs concitoyens. Manifestement, cette volonté de valeur morale décelée dans le sondage s’arrête dans l’isoloir où il semble admis qu’on puisse voter pour un homme ou une femme qu’on sait malhonnête, si cela peut faire barrage à un individu dont on n’aime pas les idées.
Puisqu’apparemment, la publicité qui est faite des casiers judiciaires de nos élus ne semble pas effaroucher le Français qui, paradoxalement, semble vouloir des élus plus honnêtes, proposer dès lors que par la loi soient rendus inéligibles à vie ces élus qui furent chopés les mains dans le pot de confiture semble être une proposition intéressante, peut-être à même de nettoyer les véritables écuries d’Augias qu’est devenue la politique française où l’authentique parrain mafieux aurait sûrement des trucs et astuces à apprendre sur les bancs de l’Assemblée.
Et de façon tout aussi intéressante, si l’on était étonné du résultat, plutôt rassurant sur le sens moral des Français, on est en revanche moins étonné de lire certains commentaires de l’article en question, sur l’aspect punitif de la sanction d’inéligibilité à vie qui semble, pour certains, un peu trop dure (oh, pauvres petits chous élus qui se font attraper, ils ont, eux aussi, droit à un second tour de manège une seconde chance), qui pourrait aboutir, pour d’autres, à une République des Juges où le moindre élu serait débarqué dès qu’un soupçon planerait sur son honnêteté (car l’inverse, apparemment, c’est tout à fait supportable) ou qui, pour d’autres enfin, serait de toute façon anticonstitutionnel puisqu’annulant le droit de certains citoyens à prendre part, active, aux fonctions politiques du pays (snif, snif).
En pratique, et foin de toute inconstitutionnalité puisqu’il suffirait d’ajouter aux lois électorales la contrainte d’un casier judiciaire impeccablement vierge pour être élu, chose qui est déjà indispensable pour devenir fonctionnaire par exemple, l’inéligibilité à vie aurait dans un premier temps le bénéfice évident de renouveler grandement la vie politique française. Elle aurait aussi un autre effet, celui d’amener aux postes de pouvoir des gens certainement plus attentifs aux lois qu’ils passent, et aussi, des individus bien plus fins dans leurs détournements. Il n’est pas certain qu’au final, la vie politique en serait plus propre, mais elle serait certainement plus violente, et le changement des têtes bien plus rapide. Du reste, il semble qu’aucune autre démocratie dans le monde n’ait fait rentrer ceci en vigueur, ce qui laisse supposer quelques difficultés d’application. La plupart du temps, l’opinion publique suffit à faire fuir les profiteurs, les corrompus et les cancrelats hors des fonctions électives ; c’est donc peut-être plutôt du côté de la formation de cette opinion publique qu’il faut chercher, celle-ci, pilotée par un quatrième pouvoir (médiatique) largement subventionné par le politique, laissant fortement à désirer en France…
En tout cas, ça n’empêche pas le sujet de monter, doucement, dans l’actualité puisque, déjà, un député (du Languedoc) a saisi la balle au bond et a été jusqu’à proposer une loi en ce sens. Cette proposition viendra s’ajouter à la pétition actuellement lancée par Contribuables Associés ainsi que celle de PowerFoule. Avec le non-cumul des mandats, le nettoyage du mode de calcul des indemnités électives à commencer par l’indemnité parlementaire (par exemple en supprimant tout cumul), voire, soyons fous, à la suppression de la professionnalisation de la vie politique, comme ce fut le cas dans bien des démocraties (par exemple en Belgique à sa constitution), plusieurs pistes sont donc possibles pour revoir de fond en comble la façon dont les individus pourraient prendre part à la vie politique sans que cela devienne, comme actuellement, une sinécure arrosée de l’argent gratuit des poches des autres…
Cependant, au final, je me demande vraiment si cette idée en est une bonne.
Séduisante sur le papier, elle n’empêche pas de questionner sur ce qui est préférable : un politicien au casier vierge, incorruptible, mais au dogme inflexible et (manque de bol) aux idées catastrophiques, ou un politicien véreux mais aux idées inoffensives, justement parce qu’achetables ? Et plutôt que d’éliminer le politicien qu’on jugerait corrompu par une nouvelle loi, ne vaudrait-il mieux pas trouver un système où l’élu aurait la main tremblante à chaque fois qu’il lui faudrait agir au nom de tous, écrire ou changer une loi, se présenter devant le peuple qu’il saurait impitoyable ?
Et plutôt que toute autre tentative probablement chimérique de moraliser la vie politique, ne serait-ce pas par la peur et le respect profond du peuple qu’on pourra enfin tenir les gouvernements, en leur rappelant qu’il n’est point de peuple libre sans un gouvernement craintif ?
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