Ah salut cher lecteur, ça faisait longtemps ! Mais c’est ma faute en même temps, j’ai écris plein de choses ailleurs dernièrement : mon coup de cœur pour NO GUNS LIFE chez Kana, raconter ma découverte de SAMURA, re-re-re-rencontre ma très chère Bailly Samantha et sa copine Miya… Voilà comment le temps passe vite !
Et donc, dans l’intervalle, j’ai quand même eu le plaisir de discuter pendant quelques heures avec Arnaud PLUMERI, le directeur éditorial de Doki-Doki, label manga bien connu de chez Bamboo Editions. Ça fait maintenant quelque chose comme 8 ans que je bosse de près ou de loin avec le monsieur – ça remonte à ma vie chez Webotaku, souvenirs ! – et c’est toujours avec plaisir que je m’entretiens avec ce passionné de BD au sens large et qui est à l’image de son label, qui prend soin de ses titres et de ses lecteurs avec simplicité mais passion, en mettant l’humain au cœur de sa philosophie de travail.
Même si je ne suis pas fan de toutes les thématiques de leur catalogue, j’y ai régulièrement des vrais coups de cœur, comme Dédale dernièrement, et j’ai toujours apprécié leur façon de travailler. Ainsi je ne pouvais pas passer à coté de cette anniversaire et de ces 10 années d’édition de manga sans célébrer ça avec une chouette interview.
Donc en piste… Et bonne lecture !
Doki-Doki, 10 ans en arrière
Paoru : Bonjour Arnaud Plumeri… On commence par un voyage dans le passé : tu arrives chez Bamboo en 2003. Comment est né, 3 ans plus tard, Doki-Doki ?
Arnaud Plumeri (photo ci-contre) : Quand je suis arrivé chez Bamboo il n’y avait quasiment personne et je m’occupais un peu de tout. En fait je suis un passionné de BD au sens large : Franco-Belge, Comics et Manga. Mais au début de Bamboo il n’y avait pas grand monde pour développer de nouvelles collections, il a donc fallu attendre que Bamboo connaisse le succès avec la BD Les Profs pour que de nouvelles personnes soient embauchées.Comme j’ai toujours eu un intérêt pour ce qui se passait en dehors de nos frontières, Comics et Manga, j’en ai alors parlé à mon patron. Nous avions bien vu que le manga se développait nettement en France, donc nous avons attendu d’avoir les reins assez solides pour développer une collection manga. En plus cela ne s’improvisait pas : je pouvais être lecteur occasionnel de manga, mais je n’avais pas pour autant toutes les connaissances nécessaires pour démarcher les éditeurs japonais.
C’est comme ça que s’est créé un binôme qui a duré jusqu’à cette année avec Sylvain Chollet, l’un des meilleurs traducteurs de manga du marché français. Il habite depuis très longtemps au Japon, il avait une vue du Japon du manga, la maîtrise parfaite de la langue pour nous présenter aux éditeurs japonais.
Moi je concentrais mon travail sur le marché français, car, comme on le sait maintenant, tout ce qui marche au Japon ne marche pas en France. Les premières années nous donc avons additionné nos connaissances… mais il nous a fallu trouver la meilleure façon de choisir les titres et de publier du manga en France, avec des petites erreurs de jeunesse, forcément. Néanmoins il y a aussi eu des satisfactions en publiant certains auteurs qui, sinon, n’auraient jamais été connus en France.
En avril 2006 nous avons donc lancé la publication de nos premiers titres : Kamunagara, Geobredeers, etc. À l’époque nous publiions deux volumes par mois. Il y avait aussi le Cortège des cent démons qui me vaut toujours des reproches de certains d’ailleurs…
Ah ? Pour quelles raisons ?
À titre personnel je trouve que c’est un superbe titre, j’adore l’ambiance, la rencontre du Japon traditionnel avec le folklore fantastique. Mais au bout de 6 tomes, nous ne vendions que 400 exemplaires par volume et, pour une nouvelle collection, ça fait très mal. Il a donc malheureusement fallu l’arrêter. On a beau expliquer que, surtout pendant les premières années, on ne pas publier à perte, c’est compliqué… La série est toujours en cours au Japon, et vu que 25 volumes sont sortis à ce jour, nous en serions peut-être à des chiffres de ventes négatifs, là ! (Rires)
Pourquoi ça a été toi, amateur de BD en général, de comics notamment, qui t’es retrouvé éditeur de manga ? Qu’est-ce que tu te rappelles de ce passage de lecteur à éditeur ?
En fait, j’étais un lecteur de Dragon Ball, de Gunnm, de GTO de Love Hina… J’avais des connaissances, donc, même si je n’étais pas ceinture noire de manga. Mon patron avait besoin de quelqu’un de confiance dans ses locaux, car il ne pouvait pas s’en occuper lui-même.
De plus, avant de travailler chez Bamboo, j’étais chef de produit d’une gamme de logiciels internet. Je n’étais pas éditeur, mais j’avais dirigé une gamme de quelque chose, ce qui m’a donné les bases et une idée de comment m’y prendre pour l’édition.
Après, je me souviens que les poncifs du moment étaient que n’importe quel titre pouvait avoir une forte mise en place, que l’offre n’était pas très développée et donc que l’on pouvait en vendre facilement 10 000 exemplaires… Ce qui n’était pas aussi évident quand tu étais un éditeur qui se lançait (rires). Mais c’est vrai que la concurrence n’était pas aussi développée que maintenant.
En 2006 il y avait certes un marché en croissance, mais aussi partiellement en place, organisé. Comment avez-vous trouvé la place de Doki-Doki ? Au fur et à mesure ?
Beaucoup de choses se sont faites à tâtons, je l’avoue sans rougir. Nous avons rapidement compris que les repères que nous avions chez Bamboo avec le Franco-Belge étaient complètement différents pour le manga. C’est un autre format déjà, avec une jaquette, c’est une autre façon de le lire aussi et c’est un travail avec les traducteurs plutôt qu’avec des dessinateurs ou des scénaristes… Tout ça c’était une autre façon de faire. Nous sommes partis sans a priori, en nous disant que nous allions apprendre. Nous regardions ce que faisaient les autres éditeurs français de l’époque, notamment Kana qui était dans sa période bénie de Naruto… Nous avons beaucoup observé – on commence par faire un peu comme les autres au début – puis petit à petit nous nous sommes fabriqués notre propre image.
Avec Sylvain, nous savions pertinemment que les éditeurs japonais n’allaient pas nous confier tout de suite leurs meilleurs titres, et tous ne nous ouvraient pas leur porte de toute façon. Donc il fallait commencer avec ce que l’on acceptait de nous confier, puis de leur montrer que nous faisions de la qualité, que Bamboo était une maison d’édition établie derrière Doki-Doki, que nous n’allions pas nous effondrer tout de suite. Petit à petit, des portes se sont ouvertes comme ça.
Pour la sélection éditoriale, Sylvain nous proposait des titres sur lesquels il avait bien accroché en tant que lecteur. Les premières années, je n’avais rien à redire du tout puis, au fur et à mesure des années, j’ai mis ma patte sur cette sélection. En fait, je commençais à être de plus en plus à l’aise dans cet univers et en plus j’avais le nez dans les chiffres de ventes, les nôtres et ceux des autres éditeurs, et je voyais qu’il fallait trouver le juste milieu entre se faire plaisir nous et faire plaisir aux lecteurs. L’idéal étant de concilier les deux !
Il se trouve qu’au bout de quatre ans nous perdions de l’argent, par des mauvais choix de titres, des erreurs de communications, des tirages trop forts par rapport au potentiel de certains titres, etc. Il a donc fallu un peu… (Réfléchit)
… pas resserrer la ceinture, mais, disons, se poser des questions.
Par exemple nous avons publié trois séries culinaires qui n’ont pas du tout marché, donc nous nous sommes dit qu’on allait se concentrer sur autre chose. On a constaté, progressivement, que des séries d’actions comme Sun-Ken Rock nous ont porté, nous ont permis de progresser. Plusieurs séries d’action, de fantastique, de science-fiction et d’heroic fantasy se sont ajoutées au catalogue. C’est ainsi que s’est créé un noyau éditorial, avec d’autres séries un peu différentes qui peuvent graviter autour.
La part d’humain…
Je relisais quelques-unes de tes interviews pour préparer celle-ci et, lorsque l’on te parle de politique éditoriale, tu insistes toujours sur la part de l’humain dans l’aventure. J’aimerais que l’on s’arrête là dessus deux secondes…
Premièrement, au sein de votre équipe comme dans tes contacts pros, en quoi l’humain peut jouer sur ton travail, voir sur le choix des titres ?
Ce qu’il faut savoir c’est que je dirige une collection manga, mais je ne parle pas le japonais. Heureusement, je parle anglais ce qui me permet de dialoguer en direct avec certains éditeurs japonais. Mais lorsque j’ai sous les yeux une version japonaise d’un manga, mon expérience m’aide à bien l’appréhender, et je me fais faire des fiches par différentes personnes, des traducteurs en général, avec qui j’ai des liens d’amitié qui se sont créés au fil du temps.
L’équipe de Bamboo pour ses 15 ans en 2012
Au bout de 10 ans maintenant, ils savent si ce qui peut plaire et correspondre à Doki-Doki, ce qui peut plaire à nos lecteurs. Cela aide à faire un premier défrichage et c’est important pour moi, parce que ça les implique dans le processus. Je n’ai pas envie que nos traducteurs se sentent comme des simples petites mains, je souhaite qu’ils fassent partie de l’aventure. À Japan Expo, je remarque que nos visiteurs sont ravis, car nous sommes l’un des rares stands où nos vendeurs sont aussi nos traducteurs, et ces derniers parlent la même langue que nos lecteurs ou nos lectrices. En plus, les traducteurs sont contents de sortir de chez eux pour voir le fruit de leur travail dans les mains des lecteurs.
Ce contact humain est donc primordial. Si ce métier se résumait à faire du manga pour faire de l’argent, ça ne m’intéresserait pas, car j’ai plutôt un profil de passionné. En 2002, j’ai tout plaqué, mon ancienne vie de chef de produit dans le Nord de la France, parce que je suis passionné de BD et donc de manga. Je fonctionne beaucoup à la passion… et si on peut en vivre c’est encore mieux ! (Rires)
C’est pour cela que je comprends très bien les lecteurs qui sont à fond dedans, qui vivent pour la culture japonaise, et ça me fait plaisir de les observer. Je me revois comme quand j’étais adolescent et jeune adulte…
Justement dans le rapport humain il y a ce contact au lecteur… Tous les éditeurs disent volontiers qu’ils sont proches de leurs lecteurs, mais en étant plus ou moins dans le vrai. Comment expliquerais-tu le rapport de Doki-Doki avec son lectorat ? Pour illustrer ça, as-tu des souvenirs de choses assez fortes sur ces 10 ans ?
J’ai des souvenirs forts grâce à certains lecteurs : là par exemple, sur mon bureau, j’ai deux bouteilles de rhum qui m’ont été offertes par des lecteurs qui sont très contents de notre travail, de notre communication… Nous offrons régulièrement des cadeaux à nos lecteurs, sous forme de goodies, mais eux aussi ne sont pas avares : nous recevons des cadeaux, des bonbons, des dessins… C’est quelque chose que je n’ai jamais vu dans le milieu de la BD et je pense que ça veut dire quelque chose, que cela vient du cœur.
Je reçois aussi des lettres, notamment des faire-part de mariage : « on s’est rencontré au rayon manga », « vous êtes un éditeur que nous suivons ensemble », « merci à vous »… Dans ces cas-là nous les invitons à venir nous voir sur notre stand pour qu’on se rencontre.
Arnaud Delage et Sophie Caïola au stand-doki-doki, JE 2016 ©Unification France
J’essaie de leur accorder autant de temps que je peux et à eux et à nos lecteurs en général. Parfois, je réponds à certaines questions plus pointues sur les réseaux sociaux. Quand Doki-Doki parle, c’est parfois le responsable éditorial qui est derrière, car ça me fait plaisir d’avoir des retours. Quand on est dans son bureau – en plus nous ne sommes pas du côté de Paris, mais à Mâcon – il est difficile d’imaginer l’accueil de notre travail, mais là ça permet de mesurer ça, un peu, et de manière plus directe.
Je ne sais pas ce qui se passe chez les autres éditeurs, donc c’est difficile de comparer, mais je constate qu’on nous dit souvent « vous êtes proches de nous », « merci de nous répondre », « Vous êtes transparents quand vous avez un souci »… Je le prends comme un compliment.
Après… c’est difficile de te dire ce que Doki-Doki a de plus.
En fait, là où j’ai le plus de satisfactions en réalité, c’est quand je vois mon équipe de traducteur en osmose avec les lecteurs qui viennent les voir : ils prennent en photo le traducteur, il leur fait un petit dédicace… le traducteur rougit un peu, aussi. Certains lecteurs deviennent aussi nos stagiaires et même après avoir changé de cursus ils reviennent parfois pour tenter de faire un nouveau stage chez nous… parce que ça leur a plu. Certains reviennent aussi donner un coup de main sur le stand de Japan Expo. Nous faisons ça avec le sourire, nous essayons de ne pas nous prendre trop la tête.
Et puis, je me suis rendu compte aussi que nous aidons certains de nos lecteurs, qui nous disent « merci, vous m’aidez à oublier mon quotidien difficile. » Ce sont des témoignages que l’on retrouve aussi chez d’autres éditeurs, mais à titre personnel, moi qui suis passionné et un peu rêveur à la base, ça me fait plaisir de me dire que, quelque part, nous aidons aussi les gens, à notre façon…
On ne fait que du manga, on ne sauve pas des vies, mais on peut aider certains à mieux supporter leur quotidien.
2006-2016 : les hauts et les bas
Puisque nous sommes à évoquer les souvenirs, quels ont été les moments clés de l’aventure Doki-Doki, ceux qui ont forgé votre histoire sur ces 10 ans ?
C’est tellement dense, elle est difficile cette question ! (Rires)
Boichi à Japan Expo
La première chose à laquelle je pense c’est la venue Boichi à Japan Expo et en France. Pendant des années, des lecteurs nous demandaient sans relâche « quand est-ce que vous l’invitez ? ». Nous connaissons assez bien certains lecteurs et nous en parlions régulièrement avec eux. L’un d’entre eux nous disait « si jamais vous invitez Boichi, je vous cire les pompes pendant un an ! ». Et du coup, un beau jour, j’ai pu lui répondre : « Bon ben, vous allez pouvoir nous cirer les pompes pendant un an. Nous invitons Boichi. » (Rires)
C’est vrai qu’il s’est passé pas mal de temps entre le début de la publication en 2008 chez Doki-Doki et sa venue en France en 2015…
Sun-Ken rock est parti de bas en plus, en terme de ventes. Le succès était grandissant, mais au départ le volume 1 était à 3000-4000 exemplaires, et ce chiffre grandissait à chaque nouveau volume que nous sortions. Forcément au départ, un auteur qui vend aussi peu, ce n’est pas évident de l’inviter… sauf si on a des visées promotionnelles en amont, mais en 2008 nous avions à peine deux ans d’existence, donc inviter des auteurs, nous ne l’imaginions pas encore. Aujourd’hui, après 24 volumes sortis, la série cumule plus de 330 000 exemplaires vendus.
Puisque l’on parle de Sun-Ken Rock… Qu’est-ce que ça représente pour toi cette série qui se termine, avec l’arrivée du 25e tome ce mois-ci ?
C’est particulier à différents niveaux : d’un point de vue bassement pécuniaire voir sa série best-seller se finir… Ce n’est pas forcément plaisant ! (Rires) Néanmoins, je sais que certaines personnes vont commencer la série parce qu’elles savent qu’elle est désormais finie.
Mais pour revenir au côté passionné, ça me ramène à 2008 au début de la série. Nous l’avions acquise alors qu’un seul volume était sorti au Japon : nous ne savions pas trop comment elle évoluerait, s’il elle s’arrêterait au second ou troisième tome. Nous ne savions pas si elle allait plaire, parce qu’il n’y avait pas vraiment d’équivalent à l’époque…
De toute façon tout ce qui tourne autour de la thématique furyo a plutôt tendance à ne pas fonctionner en France…
Oui d’ailleurs notre titre Ping Pong Dash qui mêle le furyô et tennis de table n’a pas du tout marché, par exemple.
Mais pour en revenir à SKR, ça montre que le destin d’une maison d’édition est souvent lié à des coups de chance. D’autres éditeurs pourraient t’en parler, chacun a le sien. Pour nous, il est probable que sans Sun-Ken Rock, l’aventure Doki-Doki se serait arrêtée prématurément.
Sans SKR vous ne seriez plus là ?
C’est toujours difficile à dire… Si l’on compare avec un autre coup de cœur personnel qu’est Full Ahead ! Coco, en 30 volumes, celui-là n’a pas fonctionné du tout – les premiers volumes ont bien marché, mais les ventes se sont très vite effritées. Je me dis que sans une série avec une meilleure dynamique commerciale derrière, les choses auraient été plus compliquées.Doki-Doki étant la collection manga de Bamboo, j’essaie de faire en sorte que nous ayons notre capacité de subsistance propre, c’est-à-dire pouvoir vivre avec nos seuls fonds. Si tu es trop dépendant, il peut arriver un jour qu’on te dise : « bon, on a trop dépensé, on arrête. » Il ne faut pas être un poids mort… et c’est tant mieux parce que nous ne le sommes pas !
Full Ahead ! c’est un autre souvenir marquant ?
Ah oui à titre personnel je suis ravi d’avoir ça dans notre catalogue. Après sur le plan commercial…
En fait, quand tu me questionnais sur le passage de lecteur à éditeur tout à l’heure : je dirais que le plus violent pour un passionné est d’être confronté aux chiffres de ventes, et au regard clinique qu’il faut alors porter sur la série. Ton petit cœur de lecteur bat pour un titre, pour le message transmis, mais de l’autre côté tu dois aussi enfiler ton costume de gestionnaire.
Lorsqu’on me demande d’éditer en France d’autres séries de YONEHARA, l’auteur de Full Ahead ! Coco et Dämons, il faut se rendre compte que cela représente 43 volumes qui n’ont pas du tout fonctionné. Full Ahead ! Coco a fini à moins de 1000 exemplaires vendus. C’est donc assez difficile de fédérer les équipes de commerciaux en leur disant : « c’est la nouvelle œuvre de l’auteur dont nous avons sorti 43 volumes qui n’ont pas du tout marché alors, allez-y, vendez en plein ! ». (Rires)
J’adore l’auteur, mais je suis rattrapé par la réalité commerciale.
Est-ce que ce genre d’explications est suffisant pour le public de passionné ? Cela fait maintenant assez longtemps que le marché existe, donc on pourrait se dire qu’à force le public finit par comprendre les problématiques éditoriales, mais est-ce vraiment le cas ?
Pour te répondre, j’ai un autre exemple, un moment marquant lui aussi. C’est l’affaire Broken Blade.
Broken Blade c’est une super histoire de mécha, qui bénéficiait d’une adaptation animée, dont nous avions publié 10 volumes. Les résultats de vente étaient bons, nous avions pas mal investi en communication et payé des couvertures et publicités en magazine… Tous les voyants étaient au vert.
Le onzième volume avait été traduit, mais le contrat n’arrivait toujours pas. Nous demandions, mais sans recevoir de réponse. Un jour, nous avons appris que l’éditeur, Flex Comix, avait été racheté par un consortium japonais (Movida, qui possède notamment Soft bank, NDLR). Ce consortium avait décidé d’arrêter tout ce qui touchait à l’export, dans le monde entier. Ils nous ont demandé d’arrêter Broken Blade et de pilonner nos stocks. Nous avons essayé de négocier, de différentes façons…
Ça a dû être un drôle de moment quand tu as appris la nouvelle, tu t’en souviens ?
Bah… disons que ce n’était pas forcément très cinématographique, puisque c’était en lisant un mail : je devais lire ça en étant bouche bée. (Rires)Mais donc, après, il a fallu expliquer ça à nos lecteurs. Nous avons fait différents communiqués qui sont encore sur internet : au début c’était « nous essayons de régler la situation », puis c’est devenu « nous ne pouvons plus rien faire, et on nous demande de détruire nos stocks, donc nous nous exécutons ». Je me suis rendu compte que les réactions négatives étaient minimes, et elles étaient surtout à l’encontre de l’éditeur japonais.
Nos lecteurs étaient satisfaits que nous ayons été transparents, en leur ayant fourni les données du problème. Ça m’a appris que lorsque l’on a un problème, que ce soit de production, de retard, etc., il vaut mieux dire les choses clairement plutôt que d’essayer de les camoufler pour une quelconque histoire de réputation. Les lecteurs sont plus compréhensifs et matures qu’on ne le croit.
Vous êtes plusieurs à le dire en effet. Un dernier moment clé ?
Je pourrais citer, parce que ça compte toujours aujourd’hui, la rencontre avec mon bras droit Arnaud Delage, qui est notamment le traducteur de SKR. Je l’ai rencontré un ou deux ans après la création de Doki-Doki. Nous avons compris rapidement que nous avions des atomes crochus et c’est vraiment une belle amitié qui est née entre nous. Il m’aide beaucoup au quotidien. Quand je parlais de l’importance du côté humain et des gens qui font des fiches, je pense à lui en premier.
Tiens, digression express, car j’en entends parler régulièrement des fiches qui sont faites pour des éditeurs mangas. Ça ressemble à quoi, à des fiches de lectures comme on en fait à l’école ?
Oui voilà, ça ressemble un peu à ça. Il y a un résumé de l’histoire, la couverture, le nombre de volumes à disposition, l’éditeur japonais et l’avis personnel de celui qui l’a lu qui apporte une dimension plus subjective : il explique pourquoi il a aimé ou pas, si le ton colle avec le catalogue Doki-Doki, si l’histoire risque de devenir WTF ou pas etc ! À moi d’en tirer les conclusions pour donner suite à la série, ou pas.
Vous êtes arrivés en 2006 sur la fin du grand boom du manga en France, avant que les ventes du marché ne se mettent à baisser à partir de 2008-2009… Et ne repartent à la hausse que l’an dernier. Tu as justement évoqué une période difficile au bout de quatre ans. Comment vous êtes-vous adaptés ?
Une des constantes que nous avons depuis notre création, c’est que nous publions peu par rapport aux autres éditeurs. J’ai fait un calcul récemment en comptant le nombre de sorties chez les vingt plus gros éditeurs de manga en France, et j’ai constaté que le nombre moyen de manga sortis était de sept par mois. Nous, nous sommes à quatre, en moyenne. Nous avons toujours voulu faire cela, car nous désirons nous concentrer sur nos titres. Avec notre équipe, restreinte, mais efficace, nous souhaitons bien travailler ces mangas sur leur traduction, leur commercialisation, leur promotion, etc. Nous ne sortons pas quinze titres par mois, dont dix à perte.Quand les temps sont devenus difficiles, nous avons alors essayé de limiter les séries aux thématiques moins vendeuses, et nous nous sommes tournés plutôt vers le seinen d’action et fantastique. En même temps, en 2010, de nouveaux éditeurs japonais nous ont aussi ouvert leurs portes. Le jour où l’on nous a annoncé que nous avions la licence de Puella Magi Madoka Magica, je me suis dit que nous avions acquis une certaine crédibilité aux yeux des éditeurs japonais. Cette licence était un tel raz-de-marée là-bas, que c’était un signe : il était temps de taper à la porte d’autres éditeurs et faire des offres pour des séries plus importantes.
Récemment, l’un de nos éditeurs historiques qu’est Media Factory me disait que nous avions leurs meilleures séries : Servamp, The Rising of the Shield Hero, etc. Donc depuis nos débuts, nous avons fait du chemin.
Depuis la reprise et le retour à un marché du manga en croissance, est-ce que tu as pu constater toi aussi une embellie l’an dernier ? Et quid d’un premier « bilan » de 2016, pour Doki-Doki ou pour le marché du manga en général ?
Les chiffres montrent qu’il y a en effet une embellie du marché qui nous profite aussi. Le lancement de nouvelles locomotives chez de gros éditeurs a contribué à attirer les lecteurs en librairie, et c’est bon pour nous !
Nos nouvelles séries ont pour la plupart trouvé leur public : Black Bullet, Guren Five, The Rising of The Shield Hero, Dédale… J’ai été un peu déçu par le départ mitigé des Six Destinées, un shônen plein de qualités à mes yeux. Mais globalement, nous avons connu une belle année, preuve en est la réimpression de certains volumes.
Doki-Doki : philosophie et identité éditoriale
Doki-Doki est né au sein d’une génération d’éditeurs qui se sont lancés en même temps que vous : Ki-oon, Kurokawa, Kazé, Soleil. Certains ont beaucoup évolué… Les hauts de tableaux GFK, c’est quelque chose où tu aimerais voir Doki-Doki ou alors, finalement, tu te dis que tu es bien là où tu es, dans la catégorie « petit éditeur » ?
J’ai récemment fait toute une étude sur le sujet, pour présenter Doki-Doki à notre nouvelle équipe commerciale. Comme je le disais plus haut, nous publions moins que la moyenne des plus gros éditeurs. Plus tu montes dans ce tableau, et surtout si tu arrives aux 4e – 5e première place, moins il y a de mystères : tu dois forcément publier davantage. Il y a une certaine corrélation entre le nombre de tomes publiés et ta place dans le classement… À quelques exceptions près bien sûr, comme My Hero Academia ou One-Punch Man qui donnent un gros coup de boost à Ki-oon ou Kurokawa.
Mais pour nous aussi, c’est significatif : nous sommes 12e au classement Gfk, alors que nous étions 10e il y a quelques années, et pourtant nos ventes ont progressé par rapport à l’année précédente. Akata et Komikku sont passés devant nous au Gfk, car ils publient dix à quinze titres de plus par an. Si nous publiions davantage, je pense que nous pourrions repasser devant.
Mais j’ai tendance à dire que l’on peut interpréter ces classements de plein de façons différentes et que ce n’est pas le plus important. Ce qui m’intéresse c’est plus de savoir si Doki-Doki réalise des mangas qui plaisent et savoir si ça rapporte plus d’argent à Bamboo que ça lui en coûte. Les réponses sont oui dans les deux cas, et c’est l’essentiel.
Nous nous approchons de la fin de l’interview et je me demandais : à l’heure actuelle c’est quoi un manga Doki-Doki pour toi ?
Ah c’est une question difficile…
Je parlais précédemment d’une part de fantastique et d’imaginaire, donc il y a un peu de ça, déjà. C’est une constante comme dernièrement dans Dédale, qui est un titre qui est vraiment bien fichu, qui a reçu un accueil dithyrambique…
C’est bien ça et c’est mérité, car c’est un vraiment un chouette titre. Est-ce que les ventes suivent, elles aussi ?
La première fois que je l’ai lu je me suis dit : « Je lis beaucoup de manga, mais des comme ça je n’en croise pas souvent. » Du survival aussi positif je n’en avais jamais vu.
Mon premier réflexe a été de me dire que l’originalité n’est pas forcément ce qui paie dans le manga. Il y a des contre-exemples, mais je me souviens que lors de nos premières années, nous nous enthousiasmions souvent d’entendre « ah, il est original ce pitch ! » et derrière, nous faisions un four. Les lecteurs aiment bien être rassurés et retrouver un cadre familier. Les récits dans les mangas, c’est souvent une variation autour des mêmes thèmes. Donc pour Dédale, je me suis dit ça passe ou ça casse…. Et c’est passé, car le premier tirage, de 5000 exemplaires, a été écoulé, donc nous avons fait un second tirage à 2000, et nous venons d’en faire un troisième à 4000. Et le titre est réapparu il y a quelques semaines dans les tableaux Gfk. Donc ça veut dire qu’il vit toujours, que le bouche à oreille fonctionne bien.
Parfait alors ! Revenons sur cet ADN du manga Doki-Doki…
Oui. Nous publions aussi des titres pour un lectorat mixte. Les classifications des mangas en France diffèrent du Japon, c’est pourquoi j’oserais parler de « shônen pour filles » dans le cas de Servamp, ou de « seinen pour filles » concernant Madoka ou Vamos La. Ces termes vont probablement faire bondir les puristes, mais on ne peut vraiment pas catégoriser les mangas en France comme au Japon, le lectorat est différent.
En matière de seinen pur, j’étais étonné que nous ayons autant de lectrices qui achètent en masse des titres comme Sun-Ken Rock ou Freezing.
Ensuite, au niveau graphique, on retrouve un trait assez nerveux, moderne. Mais c’est difficile de vraiment identifier des caractéristiques. Quand je choisis un titre, je me demande plutôt s’il pourrait bien s’insérer dans notre catalogue, à côté de quel autre manga il pourrait trouver sa place : « ah tiens, celui-là, il serait pas mal à côté de The Rising of the Shield Hero », par exemple. Ça forme un tout cohérent…
Ça permet aussi de s’adapter et d’évoluer, de titre en titre…
Et puis ça n’empêche pas non plus quelques exceptions et la liberté de tenter des paris, par moment. Hawkwood par exemple serait difficile à mettre à côté d’un autre titre : un manga historique sur la Guerre de Cent Ans, ça ne ressemble pas forcément à d’autres œuvres de chez Doki-Doki.
Tout cela est une question de dosage. Comme nous publions peu de titres, notre line-up est vite rempli, donc nous essayons de trouver une alchimie : un fond d’imaginaire, un peu d’originalité, de l’action, un peu de comédie et d’humour, une touche d’érotisme, un peu de gore… Par exemple cette année nous avons sorti Evolution Six, qui est sans doute le titre le plus gore de notre catalogue. Je ne suis pas forcément un fan de récits sanglants (cependant, en tant que fan de comics, les mutants de cette histoire, ça me parle), mais c’était une bonne occasion de tester, et ce n’est pas pour autant que je vais lancer toute une collection autour de ça. C’est juste que ça me semblait intéressant de voir ce que ça donne.
En caractéristiques, on peut ajouter aussi des séries plutôt courtes…
Oui c’est assez vrai. Mais c’est aussi à l’image de ce qui se fait au Japon… Les séries ont tendance à se raccourcir.
C’est vrai ? Vu de la France ce n’est pas forcément perceptible…
Au Japon l’offre est beaucoup plus importante, et des séries courtes ou qui se font sabrer sur les premiers volumes, j’ai l’impression d’en voir de plus en plus. D’ailleurs, il m’est déjà arrivé de faire des offres pour des séries qui ont été sabrées au second volume, voire au premier. Sauf que l’on ne me l’avait pas dit. J’attendais la suite, mais un beau jour, on nous dit « non non l’auteur est parti sur autre chose en fait… »
Donc à moins que l’auteur ait réussi à trouver une fin qui tienne la route, je ne les ai jamais publiés. Bon, nous nous faisons rembourser dans ces cas-là… Enfin, dans le meilleur des cas. (Rires) Et si jamais nous avons payé la traduction du manga, c’est tant pis pour nous…
Les mots de la fin : bilans et perspectives
Ensuite j’aimerais savoir ce que t’ont appris tes réussites et tes échecs sur ton métier d’éditeur, durant ces dix années…
Déjà j’ai appris le métier d’éditeur… Et ce n’est pas rien ! (Rires)
J’ai aussi appris beaucoup sur moi-même. Négocier avec les Japonais c’est différent, c’est spécial. Ainsi, tout ce que nous faisons est soumis à leur approbation. Cela nous oblige à travailler le plus en amont possible, car certains tardent à répondre. Il arrive aussi que nos idées de communication ou de goodies soient refusées, pour des raisons parfois obscures. De manière générale, les Japonais sont extrêmement polis, mais il est difficile de connaître le fond de leur pensée, à moins d’avoir établi des relations de grande proximité. Et par rapport avec une maison d’édition franco-belge, ils ont une volonté de contrôle beaucoup plus forte. C’est pourquoi, par exemple, ils nous interdisent de contacter directement les auteurs !
Je gère aussi pas mal de monde, que ce soit des traducteurs, des graphistes, etc. Il faut donc avoir une certaine pédagogie, mais aussi une certaine rigueur pour que le travail soit rendu correctement et dans les temps. C’est très formateur humainement parlant.
Ce que j’apprends au quotidien, enfin, c’est que je vieillis – j’ai 41 ans –, mais je reste au contact avec les goûts des jeunes, c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup. Ça évite de s’enfermer dans un monde de quadragénaire et ça veut dire que quand mes enfants grandiront je ne serais pas… le papa largué. (Rires)
Exact… Si on se projette vers le futur, quels sont maintenant vos moteurs et vos ambitions pour les 10 années à venir ?
Des moteurs j’en ai pas mal…
Comme je te l’ai dit, Bamboo a créé sa propre diffusion commerciale et a quitté Delsol. Nous sommes maintenant indépendants sur ce point.
Pour les lecteurs, est-ce que tu peux nous expliquer ce que c’est ?
La diffusion commerciale, c’est notre force de vente : les représentants qui vont démarcher les libraires pour proposer nos ouvrages, pour essayer de les convaincre de les commander et de les mettre en avant le mieux possible.
Delsol a fait du bon boulot, mais la diffusion gère plusieurs éditeurs et des centaines de titres, et elle appartient à Delcourt. Tous les éditeurs qui ont une diffusion commerciale indépendante ont de meilleurs résultats. Cela donne une motivation supplémentaire et nous a permis de former notre nouvelle force commerciale, en reprenant un peu toutes les questions que tu viens de me poser d’ailleurs : quelle est l’image de Doki-Doki, quels sont nos points forts et nos points faibles, d’où l’on vient, etc. Nous essayons de leur partager notre culture d’entreprise.
On peut imaginer sur le long terme que ces ambassadeurs de votre catalogue deviendront des membres de la « famille » Doki-Doki et seront plus que motivés pour promouvoir vos titres…
Le but est aussi de se rapprocher des libraires, car nous ne pouvons pas nouer ou entretenir le contact avec tous. Donc il faut que ces ambassadeurs soient aussi bien notre voix que notre oreille.
Une belle avancée en perspective, donc. Quels sont les autres moteurs ?
J’ai profité de ce bilan sur Doki-Doki pour contacter nos éditeurs japonais partenaires, pour refaire le point, mais aussi pour tenter une autre approche d’autres éditeurs qui ne travaillent pas encore avec nous. C’est un travail de longue haleine, mais les retours sont très positifs et je pense que dans les mois ou les années à venir, nous pourrons travailler avec de nouveaux éditeurs japonais.Des portes qui s’ouvrent…
Oui, ils sont au courant que les choses changent en France, que des éditeurs naissent ou disparaissent. Ils apprécient que nous ayons passé ce cap des 10 ans, ça pose les choses… Surtout quand tu leur présentes tout le parcours qu’a été le nôtre sur cette décennie, toutes les actions que nous pouvons faire et l’énergie que nous avons pu dépenser.
Enfin, sur un plan plus personnel, mon moteur c’est aussi… ah c’est un peu bateau ce que je vais dire, mais c’est important pour moi de ne pas oublier qui l’on est et d’où l’on vient. Avec le temps, on peut oublier pourquoi on fait ce métier et ne voir que les côtés négatifs…
Tu dirais qu’éditeur de manga est un métier usant ?
Oui, c’est prenant dans tous les sens du terme : parce que c’est chronophage, parce que ça peut parfois être prise de tête – obligé d’être diplomate quand on a envie d’envoyer balader, etc. Mais ce qui remet tout en perspective c’est quand les lecteurs te disent : « Félicitations », « « vous êtes mon éditeur préféré », « j’adore cette série, grâce à elle vous me faites rêver », on se dit que l’on sert au moins à ça ! (Rires)
Le mot de la fin… qu’est-ce que tu pourrais dire à tes lecteurs ?
Spontanément, je leur dirais que, évidemment il y a des choses qui leur ont plu et d’autres non chez Doki-Doki, donc je voudrais remercier ceux qui nous suivent depuis le début, mais aussi ceux qui nous ont rejoints en cours de route – c’est très important – et j’espère qu’ils sentent que, derrière le bouquin qu’ils tiennent, il y a des gens qui se sont investis. Qu’il y a un vrai amour du manga et pas un intérêt commercial uniquement.
Le message est passé, merci Arnaud et longue vie à Doki-Doki !
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Remerciements à Arnaud Pluméri et Nazir Meena pour leur temps et leur gentillesse.
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Doki-Doki (mai 2012, janvier 2014, novembre 2016)
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