Dans l'actualité immédiate, il est le lauréat 2016, aux Etats-Unis, du National Book Award, dans la catégorie fiction, avec Underground Railroad, qu'on lira en français le moment venu. Mais il est aussi l'auteur d'autres ouvrages déjà traduits, ceux-là, dont le remarquable Ballades pour John Henry, sorti à Paris en 2005. Faisons connaissance avec ce roman.
Les philatélistes savent des choses que nous, les gens normaux,
ignorons totalement. Quel que soit le sujet dont ils ont fait leur spécialité,
leur goût pour les petites vignettes les entraîne dans des recherches
exhaustives qui font d’eux des spécialistes méconnus. Ainsi, Alphonse Miggs
s’est spécialisé dans les timbres ferroviaires. Et il est tout naturel qu’il
soit présent, en juillet 1996, au lancement d’un timbre commémorant John Henry
sur les lieux mêmes où est née sa célébrité, la petite ville de Talcott en
Virginie-Occidentale.
C’est à ce point, bien entendu, que coince le non spécialiste.
Qui était ce John Henry ? Colson Whitehead, heureusement, nous dit tout
sur lui et sur sa légende, ou plutôt ses légendes. Car, dès le prologue, il en
offre des fragments variés et contradictoires, rapportés par des témoins de
deuxième ou de troisième main. Une ballade, par ailleurs, dont il existe de
multiples versions colporte ses titres de gloire.
John Henry, donc, aurait été un colosse noir qui, dans les années
1870, aurait travaillé au percement d’un tunnel de chemin de fer près de
Talcott. Maniant le marteau et le foret comme personne, il aurait un jour défié
un marteau piqueur, outil encore perfectible, et l’aurait battu. Puis il se
serait écroulé mort.
Le romancier s’est emparé du personnage pour lui redonner vie, et
de belle manière, poétique et âpre à la fois. Mais John Henry, s’il est au cœur
du roman, est loin d’en occuper la plus grande partie. Pour l’essentiel, le
récit se déroule en 1996, pendant le premier Festival John Henry, et mêle des
faunes pittoresques venues de divers horizons.
La part la plus réjouissante du livre met en scène un groupe de
parasites invités à la fête, tous frais payés. Des journalistes new-yorkais,
pour le dire clairement. Ils appartiennent à une mystérieuse Liste gérée par on
ne sait qui (on l’apprendra) et grâce à laquelle ils sont conviés à une
multitude de cocktails dînatoires et autres réjouissances organisés par des
services de relations publiques bien rodés. Parfois, il leur arrive d’écrire un
article. Mais ils sont surtout attentifs à la qualité et à la quantité de la
nourriture et des boissons. Ils se caractérisent par un cynisme joyeux ainsi
que par la certitude que tout cela ne sert à rien, sinon à les amuser un
instant.
Un de ces journalistes, cependant, sort du lot : J. Sutter,
qui n’est pas indifférent au charme de Pamela, la fille d’un collectionneur fou
ayant rassemblé de son vivant tout ce qu’il pouvait trouver sur John Henry.
Pamela a eu toute sa vie pour être dégoûtée par le personnage auquel son père
vouait un culte. Et elle est venue à Talcott pour se débarrasser d’une
encombrante collection qui sera mieux à sa place dans un musée local. Emplie de
doutes, cependant, sur ce qu’elle doit vraiment en faire, et accompagnée d’une
urne dans laquelle se trouvent les cendres de son père… Elle nous touche aussi.
Quant aux autres, leurs statuts variés défient les catégories. On
trouve de tout dans ce rassemblement populaire, à tel point que le chapitre
consacré à la foire est une succession de brefs regards sur les individualités
fondues dans la foule. On en saisit un détail, on entend une phrase, on passe à
autre chose…
Et le philatéliste ? vous demandez-vous peut-être. Ah !
le philatéliste ! Il est à lui tout seul une histoire dans l’histoire,
vous verrez bien. Toujours est-il que cette ample fiction qui brasse des thèmes à la
louche est un livre fabuleux, drôle, pertinent et impertinent.