Crepuscule du tourment

Publié le 19 novembre 2016 par Lorraine De Chezlo

de Léonora Miano
Roman - 280 pages
Editions Grasset - août 2016

Madame est déjà d'une époque qui s'en va. Cette mère, mère de Dio, nous parle de son couple, son foyer nourrit de violences conjugales, ses secrets, et évoque ce qui l'insupporte : Ixora, cette jeune femme ramenée d'Europe, déjà mère, qui va se marier avec Dio. Amandla est la doyenne, ancienne maîtresse des héritages kémites, elle fût amante de Dio mais sa sauvagerie effraye encore, sa liberté, son affranchissement. Hors du continent africain, Tiki, la sœur de Dio, porte sur son frère un regard intransigeant.

Ce roman est un bijou, un diamant, dur, brillant et tranchant. Un roman choral avec ses récits successifs de quatre femmes qui évoquent une vie familiale commune, qui évoque un homme mais surtout qui parlent d'elles-mêmes, de leur chair, de leur condition, de leur difficile combat pour la liberté dans une Afrique gangrénée par le patriarcat. Des voix singulières qui cachent, derrière leur calme, des souffrances refoulées et des secrets impensables. Où la filiation porte une grande importance, en plein ou en creux.

Avec sa plume d'une grande rage, Léonora Miano sculpte toutes ses phrases, cisèle chaque mot, martèle certaines sentences. Et puis elle étonne, elle balaye les conventions, elle renverse le culturellement correct d'Afrique , et par ces femmes stupéfiantes, pleines de haine et d'amour, de solitude aussi, d'incompréhension. Et l'homosexualité féminine se révèle comme la subversion ultime et l'affranchissement de toutes les normes machistes et traditionnelles.

" E tre femme, en ces parages, c'est évaluer, sonder, calculer, anticiper, décider, agir et assumer. Ne s'appuyer que sur soi. La confiance est un risque à ne pas prendre."

Et l'émigration de Tiki comme une fuite vers la liberté, sociale et familiale, avec le choix possible d'une destinée hors de la colonisation et de l'étouffement. Alors que Dio a fait le choix du retour au pays, comme si sa mère, Madame allait apprécier, comme si retourner vers le passé ne soulèverait pas tant de douleurs.

" S 'il n'y avait eu que la brutalité, la domination se serait exercée sans pour autant que la soumission fût obtenue. Soumettre son semblable, c'est lui faire reconnaître votre grandeur, ce qui impose de recourir à des méthodes plus fines que l'envoi de tartes dans la figure. Il faut séduire, éblouir si on a de quoi. Et il faut rassurer."

Le roman est plus que la série de quatre monologues. Bien plus que cela. C'est une imbrication fine de souvenirs et du déroulé d'un drame présent , un évènement qui devrait obliger Dio à sortir de sa réserve. A travers leurs sexualités d'aujourd'hui, transparaissent leurs traumatismes d'autrefois.

Cet ouvrage serait le premier tome Melancholia du Crépuscule du tourment, à moins que ça ne soit l'inverse. A suivre donc.

Libellés : Afrique, Littérature francophone, Livres, Miano Léonora, Rentrée littéraire 2016