Depuis quelques mois, je participe à des collaborations avec de chics vidéastes et, par le pur fruit des hasards, plusieurs de ces projets de vidéos portaient sur les méduses. Vu qu'elles figurent sur ma bannière, vous imaginez bien que j'étais plutôt méga content de participer!
Tout d’abord il y a cette observation microscopique réalisée avec Dr Nozman du cycle de vie de méduses Aurelia aurita:
Pour cette vidéo, nous avions bénéficié de l’aide d’une collègue, Solène Song de l’équipe de Biofluidique (Laboratoire Matière et systèmes complexes), qui nous a fourni les polypes, éphyrules et adultes de l’espèce Aurelia aurita. C'est donc une jolie vidéo à inscrire dans la liste qui s'allonge des observations microscopiques. Ce que je trouve hyper cool derrière ce projet, c'est qu'on a du tourner en tout 4 fois mais qu'il y a des prises de vues pour encore plein plein plein de bestioles!
L'autre vidéo pour laquelle j'ai pointé le bout de mon nez est celle de Manon Bril, sur sa chaine C'est une Autre Histoire, et qui traite du mythe de Persée:
On avait tourné le tout lors de vacances à la cambrousse propices aux collaborations entrecroisées de malade! S'y retrouve donc Jeff du Psylab, Dave d'Histoire brève, Mélissa des Chroniques de Vesper, Cha des Langues de Cha', Vled Tapas du Set barré et
Léo de Dirtybiology (avec des caméos de Cyrus, Arnaud, Lou, Nicolas et Pauline). J'y offre donc la description rapide de différents groupes appartenant aux cnidaires parmi lesquels on trouve les méduses, certes, mais aussi les coraux, les anémones et d'autres bestioles chelous comme les hydres et les siphonophores.
J'avais pas mal eu la folie des grandeurs en voulant organiser un atelier pâte à modeler pour confectionner des modèles des différents animaux qui auraient ensuite été animés en stop-motion (un hommage caché aux œuvres de Ray Harryhausen):
Autant dire que ça a été un fiasco parce qu'il a tout d'abord fallu canaliser la fièvre créatrice du groupe:
Puis après des heures de modelage…
On s'est aperçu que la pâte était trop molle pour faire du stop motion…
Qu'à cela ne tienne, j'ai trouvé tout de même un moyen de montrer comment le plan d'organisation d'un polype n'était pas si différent de celui d'une méduse, et cela grâce à un tour de magie Jokerini!
Ne vous inquiétez pas, Pauline n'a eu aucune séquelle après le tournage de cette scène… enfin très peu:
Toutes ces collabs m'ont donné l'idée de déterrer un projet de vidéo que j'avais abandonné faute de temps: parler de la curieuse méduse Eleutheria dichotoma. Seulement voilà: le montage, c'est vraiment pas mon truc et je n'avais pas envie de bâcler le travail sur cette vidéo. Heureusement pour moi, j'ai croisé le chemin d'Antoine McFly à qui j'ai parlé de ce projet et qui a accepté de monter l'épisode (merci!):
Tout a commencé quand on a découvert des petites bestioles d'un aquarium de mon institut. Après maintes recherches, un collègue de labo a identifié l'espèce Eleutheria dichotoma, et je n'étais pas allé plus loin. Dans ma tête, c'était une de polype de cnidaire bizarre. Quand Nozman est venu filmer les méduses, on en a profité pour filmer aussi les Eleutheria, et c'est là que j'ai commencé à me poser des questions… et en trouvant les réponses j'ai réalisé que ce que je prenais pour des polypes mobiles était en réalité des méduses marcheuses. Du coup, je me suis dit que creuser la thématique de la locomotion des cnidaires, ça pouvait recéler son lot de Strange et Funky!
Je me suis tout d'abord penché sur les modes de locomotions de certaines anémones atypiques, comme Stomphia dont j'avais déjà parlé sur SSAFT:
Et j'ai découvert que ce n'était pas la seule anémone capable de nager! Il y a aussi les anémones du genre Boloceroides:
Et dans la catégorie ridicule, on notera la participation des anémones Minyas qui flottent à la surface de l’eau…
Mais chez les méduses aussi y’a de la variété ! Déjà y’a certaines méduses qui font de la voile : les vélelles!
Ca devient la coutume sur SSAFT, chaque fois que j'évoque vélelles, siphonophores et autres chondrophores…
… je survole très rapidement le fait qu'il s'agit d'animaux coloniaux questionnant la notion d'individualité. Je ne déroge pas à la règle cette fois-ci mais qui sait, peut être que j'en parlerai bientôt…
J'aborde plus volontiers les découvertes réalisées sur Eleutheria dichotoma qui, bien que proche des chondrophores et siphonophores, consiste cependant en une méduse individuelle dans le sens classique du terme.
Je parle donc tout d'abord de la locomotion particulière d'Eleutheria qui est tout de même une méduse qui marche. Mais c'est pas la seule méduse qui a une locomotion absurde, sachant qu'il existe tout de même un groupe de méduses, les Stauroméduses, dont la plupart des membres forment des méduses… immobiles. Ce sont les lucernaires donc la caractéristique est d'avoir une partie de leur cloche qui se transforme en ventouse pour se fixer sur des algues ou d'autres supports:
Comme je le dévoile dans la vidéo, trouver des infos sur la famille des Eleutheria, c’est assez compliqué parce que c’est pas hyper connu, et les textes qui les décrivent sont pour la plupart assez vieux, comme pour ce traité de zoologie de Pierre-P. Grassé qui orne les étagères de mon laboratoire.
Pour incarner une voix issue de ce volume poussiéreux, j'ai fait appel aux talents oratoires de Mendax de la Tronche en biais qui a bien voulu lire le passage imbitable suivant:
Les Eleutheriidae sont des Corynoidea formant des colonies à hydrorhizes généralement rampantes. Les hydrantes sont portés par de très courts hydrocaules issus directement de l’hydrorhize stolonnaire. Ils possèdent un verticille oral de tentacules capités et parfois un anneau aboral de tentacules filiformes réduits. […] Les méduses sont essentiellement rampantes elles présentent un épais anneau urticant entourant complètement ou de façon discontinue le bord exombrellaire
(Je ne vous diffuse pas les prises brutes audio que m'a envoyées Mendax, c'est garni de jurons…)
Vu que j'étais dans le poussiéreux, je me suis demandé si je pouvais retrouver l'origine de la classification de cette espèce et c'est ainsi que je suis tombé sur les écrits de Jean Louis Armand de Quatrefages de Bréau.
Je me suis senti moins con quand j'ai lu que lui même pensait qu'Eleutheria était un polype mobile (d'où son choix d'Eleutheria pour qualifier l'animal qu'il voyait comme une hydre "libre" de ses mouvements, Eleutheria signifiant liberté en grec). Cette belle histoire étymologique m'a d'ailleurs inspiré l'horrible montage photoshop suivant:
Et vu que j'étais bien parti, j'en ai profité pour imaginer la page youtube de Quatrefage qui, en tant que scientifique multidisciplinaire, avait publié des thèses aux titres putaclic comme Théorie d'un coup de canon ou L'Extraversion de la vessie:
J'ai même écumé la littérature scientifique allemande qui, à défaut d'être accessible, est souvent accompagnée de fantastiques dessins naturalistes d'Eleutheria:
Ces diverses recherches m'ont donc amené à découvrir que ces fameuses Eleutheria étaient donc des méduses qui marchent avec des tentacules bifides, qui sont équipées de masses d’armes avec des bat-grappins, qui peuvent bourgeonner pour se multiplier ou qui sont capables d’incuber leurs larves avec une poche comme les kangourous ! C'est pas clair? Ben faut regarder ma vidéo du coup!
Liens:
Minyas sur Roboastra
Les Chroniques du Plancton - Vélelles
Lucernaires
Mémoire sur l'Eleuthérie Dichotome
Références:
Hauenschild, C. (1956). Experimentelle Untersuchungen über die Entstehung asexueller Klone bei der Hydromeduse Eleutheria dichotoma. Zeitschrift für Naturforschung B, 11(7), 394-402.
Hauenschild, C. (1957). Versuche über die Wanderung der Nesselzellen bei der Meduse von Eleutheria dichotoma. Zeitschrift für Naturforschung B, 12(7), 472-477.
Quatrefages, A. D. (1842). Mémoire sur l’Eleuthérie dichotome (Eleutheria dichotoma, A. de Q.) nouveau genre de rayonnés, voisin des hydres. Comptes Rendus Hebdomadaires des Séances de l’Académie des Sciences, 15, 168-170.
Lecointre, G., Guyader, H. L., & Visset, D. (2006). Classification phylogénétique du vivant- Vol1: Belin.
Lecointre, G., Guyader, H. L., & Visset, D. (2013). Classification phylogénétique du vivant- Vol2: Belin.