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(feuilleton) Cécile Riou, "Phrase unique", 5

Par Florence Trocmé

Lire la présentation de ce feuilleton et les quatre épisodes déjà publiés en cliquant sur ce lien.
(…) une paire de mules en plastique blanc et bleu imprimé Adidas sur le coup de pied, elle imagine alors que ce serait une souffrance insupportable de porter ce type de sandale dans la neige, inodore la neige, inodore le sapin derrière la vitre propre, indolore le pied estivalement chaussé, bleui comme le plastique qui le recouvre, l’absence totale de mouvement ment comme la pin-up dénudée sur une affiche rétro de station de ski, une pépée huppée avec son bandeau soutien-gorge doré et son sourire glacial, qui vous tiraille d’agacement et d’envie un peu gênante, aussi sûrement que ce couple propre sur lui « wir machen uns stark für unser Kind », soit  « vire ma chaîne ou cet arc, furète une sœur qui ne (…)
(…) ramasse pas aussi bien que la pelle à neige, qui trouve ici trois formats différents, trois couleurs, tailles et usages, la neige poudreuse et silencieuse n’a pas d’odeur, pas plus que l’argent derrière les vitrines de St-Moritz où vous accueille une nouvelle pin-up bronzée à la colle de l’affiche, qui ne danse pas, qui ne fait tourner ni tomber aucune tête, assise sur le tire-fesses en trompe-l’œil du Z de St-Moritz, un peu en dessous du slogan « St-Moritz top of the world » qui ne brille pas par sa modestie alors qu’en contrebas le raclement humble et nécessaire de la pelle à neige de taille moyenne, celle de la maman ourse (…)
(…) comme l’artichaut se décompose à peu près comme les soins que l’on prodigue à un cheval : on le frotte pour en ôter les éperons superficiels, c’est le bouchon, on en hume le fumet âcre et vert, c’est le crottin, on le regarde nu après en avoir ôté les feuilles basses, c’est le curage du sabot, on le déchire de nos incisives basses plantées dans la chair tendre, c’est l’étrille, on le caresse, main entre les oreilles comme asinus asinum fricat, c’est l’affection, on contemple un tas conséquent de foin de feuilles et d’épines, c’est le flehmen (…)
(…) la gondole qui parcourt le Grand Canal, c’est un poisson noir et blanc, plat et creux, bois peint puis verni brillant ;  le frein brûlé du train, c’est un caffè ristretto qui ne crierait pas ; les gondoliers à l’entraînement dans la lagune, c’est un banc de maquereaux, le dos blanc rayé de bleu flamboyant, nageoires longues et véloces ; les Dolomites c’est la crème du glacier, saupoudrée de sucre glace ; « non gettate alcun ogetto dal finestrino » c’est la chatte qui miaule pour gronder ses petits ; la fin du poème c’est ne pas savoir où on va, c’est le voyage pour le voyage, c’est la phrase pour le poème et le poème pour la phrase, comme si la phrase devait se suffire à quelque chose d’autre, quoi ? (…)
(à suivre)


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