« Quand un vicomte rencontre un autre vicomte, qu’est-ce qu’ils s’racontent ? Des histoires de vicomtes », chantait naguère Maurice Chevalier.
Quand deux des écrivains les plus surestimés du siècle passé (mais cependant de véritables écrivains, et pas les parfaits imposteurs qui sont aujourd’hui couronnées de ce titre), des écrivains « à légende », et dont la légende – flamboyante, et soigneusement travaillée par un mythomane, dans le cas de Malraux ; modeste, tragique, et involontaire, dans le cas de Camus, qui aurait pu vieillir en Académicien pontifiant à la Duhamel – a pris le pas sur l’oeuvre (ou, plutôt, dont la légende fait qu’on ne prend plus la peine de lire l’oeuvre) échangent des lettres, que se racontent-ils ? Des histoires de gens de lettres, et particulièrement plates. Mais je suppose que c’est le quarantième anniversaire de la mort de Malraux qui nous vaut cette publication, accompagnée du texte d’un dialogue radiophonique avec des étudiants soigneusement choisis, on le suppose, pour assurer la promotion des Antimémoires (un livre pompeux et assez vain, sans doute un des meilleurs de Malraux, le plus « malrucien », en tout cas, dans lequel il se pavane en toute autosatisfaction). Dans son dialogue avec des « jeunes », Malraux est égal à lui-même : il s’écoute. On est loin de la compréhension et de la générosité que montrait Jacques Laurent dans sa Lettre ouverte aux étudiants, parue juste après mai 68, – il est vrai que Jacques Laurent était un écrivain d’un autre calibre que Malraux, d’une autre intelligence (il n’était jamais creux) et qu’il était antigaulliste.
Camus est déférent, et témoigne (c’était un honnête homme) d’une admiration sincère (admiration totalement naïve et déplacée quand il fait allusion aux Noyers de l’Altenburg…). Admiration qui n’est pas réciproque : Malraux, plus tard, dans ses « Entretiens avec Frédéric Grover » (ces mêmes entretiens où il expose ses vues absurdes sur Céline), dira qu’il a peu connu Camus, et qu’il a eu du mal (on le comprend) à arriver au bout de La Peste.
Bref, les 36 lettres retrouvées n’ont pas un gros intérêt : dialogue d’un jeune auteur, et d’un éditeur suffisant. L’intérêt du volume est plutôt dans ses à-côtés : une note le lecture de Malraux à propos de L’Etranger (et qui, précise et argumentée, montre que, en tant qu’éditeur, il n’était pas aussi mauvais lecteur que ne pourraient le faire imaginer les essais qu’il a publiés), une adaptation théâtrale, par Camus, du Temps du mépris, quelques articles de Camus sur Malraux.
Et, pour la bonne bouche, un entretien de Malraux avec Jean Daniel. Question de Jean Daniel : « Que pensez-vous du terrorisme ? »
Réponse de Malraux : « C’est l’anecdote. Attention, n’est-ce pas ? L’anecdote peut être importante. Elle reste l’anecdote. Le terrorisme, c’est l’espoir. Sans espoir, le terrorisme meurt. De lui-même. »
Sans commentaire, one more time.
Christophe Mercier
Albert CAMUS André MALRAUX Correspondance 1941-1959, et autres textes Gallimard, 160 pages, 18,5 euros André MALRAUX Malraux face aux jeunes. Entretiens inédits Gallimard, 100 pages, 2 euros