Magazine Cinéma

« Counting Out », ou l’amitié en terrain miné

Par Jsbg @JSBGblog

TdlG_CountingOut_Flyer_A5_Info_RZ.indd

Ça pourrait être n’importe où. Evidemment, on pense d’abord à la Syrie, ou à l’Irak, actu oblige. Pourtant, et là réside précisément tout le propos du texte, ça pourrait être n’importe où, et même n’importe quand.

Il y a Ninzo, jolie, attirante et un peu grande gueule ; on sent que cela ne plaît pas au reste du village – les ragots commencent à courir, elle aurait couché avec une sentinelle. Et il y a Zknapi, plus discrète, moins femme, le pied encore solidement captif de l’enfance. Mais les deux sont des gamines : elles ont quatorze ans, vivent à proximité d’une ligne de front, au milieu d’une guerre qui n’a pas de nom mais qui ressemble à toutes les guerres, de celles qui voient les riches s’enfuir et les pauvres rester, les trafics de drogues se développer et les cadavres pourrir en plein air. Les hommes sont absents, les femmes esseulées, les vieillards mourants et les enfants livrés à eux-mêmes. On attend sans vraiment y croire l’ouverture d’un couloir humanitaire.

Elles ont quatorze ans, avant tout, avant d’être au centre d’un conflit meurtrier, elles ont quatorze ans et ce sont des ados. Piller la maison de ceux qui ont fui, fumer leurs premières cigarettes, attendre avec angoisse les premières règles, séduire les garçons, s’occuper de leurs parents ou de leurs petits frères : Ninzo et Zknapi se promènent avec insouciance non loin des bombes et des terrains minés, faisant preuve d’un courage aussi démesuré qu’innocent, presque malgré elles, décuplé encore par le sentiment que la mort n’est jamais très loin et l’avenir jamais trop envisageable. Counting Out est d’abord l’histoire de leur amitié.

Trois jours passent – mercredi, jeudi, vendredi. Il faut un certain temps au spectateur pour comprendre qu’une fois arrivés au vendredi, nous revenons au mercredi, mais avec de nouveaux éléments. Un rythme saccadé qui colle aux lignes de Tamta Melaschwili, auteure du roman qui a inspiré la pièce. Combien de fois assiste-t-on au défilement de ces trois mêmes jours, qui paraissent toujours différents, toujours plus longs et toujours plus sombres ? Un dédoublement du temps encore démultiplié par les langues : les personnages passent de l’allemand au français, de l’italien au suisse-allemand, sans oublier le grec et l’anglais. Et pourtant, on ne perd jamais le fil.

C’est que les comédiens, et surtout les deux comédiennes en charge des rôles principaux (Caroline Imhof et Danae Dario), nous emportent dans leur histoire avec justesse et légèreté. L’insouciance de leur âge se lit davantage dans leurs mouvements que sur leur visage – elles ont toutes deux dix ans de plus que le rôle – le spectacle est comme une danse sans fin où leurs gestes fluides et inconscients nous entraînent dans leur gaieté, non dénuée de profondeur. Leur jeu oscille entre lumière et gravité, fait de ruptures subtiles.

Force est de constater qu’elles sauvent une mise en scène qui manque de rigueur et de modernité. L’utilisation gratuite et parfois incompréhensible de la projection ainsi que le travail du son auraient mérité un développement plus approfondi ; car en l’état, on s’en passerait volontiers. Quant au jeu des autres comédiens, il est très inégal, laissant imaginer certaines faiblesses au niveau de la direction d’acteurs. La nonchalance feinte et le jeu parfois artificiel de Christoff Raphaël Mortagne, unique jeune homme de la pièce, tranche avec le naturel des deux filles et la présence, discrète mais toujours juste, de Mélina Martin dans la peau de divers personnages. Et si l’absurdité d’Arthur Baratta, successivement grand-père, jeune garçon et vieux fou, est bienvenue, elle apporte parfois un côté loufoque non assumé qui décrédibilise le reste.

En somme, le tout manque de cohérence et d’une couleur commune qui auraient rendu à l’histoire toute sa puissance dramatique. Malgré cela, la force de l’histoire efface ces quelques points négatifs et de nombreux spectateurs sortiront les larmes aux yeux, s’extirpant avec difficulté de cet univers envoûtant.

– Séverine Chave

***

INFORMATIONS PRATIQUES:

Counting Out a été créé au Théâtre de la Grenouille à Bienne le 20 octobre 2016. Il est en tournée dès février 2017 et jusqu’en mai 2018.

Dates de tournée 

28.02.2017, 10h et 14h – Coupole, Bienne

01.03.2017, 10h et 14h – Coupole, Bienne

02.03.2017, 10h et 14h – Coupole, Bienne

08.03.2017, 20h30 – Tojo Theater, Berne

09.03.2017, 14h et 20h30 – Tojo Theater, Berne

10.03.2017, 14h et 20h30 – Tojo Theater, Berne

11.03.2017, 20h30 – Tojo Theater, Berne

12.03.2017, 17h – Tojo Theater, Berne

D’autres lieux sont en cours de planification pour février et mars 2017.

Deux autres volets de la tournée sont prévus pour novembre 2017 et mai 2018.

Infos : www.theatredelagrenouille.ch

14971265_10210928482549009_1244974229_n


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jsbg 208570 partages Voir son profil
Voir son blog