Suivre le parcours d’une artiste sur une période suffisamment longue permet de mettre en lumière ses évolutions, ses bifurcations, ses choix parfois surprenants. J’avais découvert les travaux graphiques de Marie-Ange Le Rochais à la fin des années 1970. Elle exposait alors chez Liliane François, une galeriste de la rue de Seine qui s’intéressait à la nouvelle figuration et aux jeunes talents. Sur les cimaises, selon mes souvenirs, se trouvaient des dessins au crayon, au crayon de couleur et des acryliques dans une approche très inspirée des hyperréalistes américains – un style proche de Richard Estes, Don Eddy, Robert Bechtle ou, aujourd’hui, Nathan Walsh ou Doug Schoemaker. Des scènes érotiques voisinaient avec des paysages, dont le ciel bleu éclatant suggérait la Californie. Cette esthétique quasi-photographique témoignait d’une belle maîtrise technique.
Aujourd’hui, Marie-Ange Le Rochais s’épanouit sur d’autres registres. Il est vrai qu’entre temps, elle s’est intéressée à l’illustration et aux éditions pour enfants. Elle peint, dessine, enseigne et écrit. Un nouveau tirage de son livre Ces Femmes qui changent le monde (Des Ronds dans l’O, 63 pages, 16,50 €) sort en librairie. Certes, l’auteure, dans une série de conversation avec sa fille adolescente, semble s’adresser en priorité au jeune public, mais cette cible n’a rien d’exclusif. Elle y dresse le portrait de femmes qui, par leurs actions et leur détermination, ont joué un rôle de premier plan pour l’humanité. Certaines sont connues, comme Marie Curie, George Sand, Frida Kahlo ou Simone Veil ; de nombreuses autres ne le sont guère du grand public, mais n’en ont pas moins fait efficacement avancer la cause des femmes, à l’image de Julie Daubié qui, la première, passa son baccalauréat en 1861, Caroline Aigle, première pilote de chasse française ou Shirin Ebadi, prix Nobel iranienne.
Par ces portraits, courts, mais pertinents, émaillés de citations et de références, Marie-Ange Le Rochais brise les clichés liés à la place dévolue aux femmes dans les sociétés patriarcales dont nous gérons toujours l’héritage. Pédagogique sans céder au simplisme, féministe tout en évitant l’écueil du radicalisme doctrinaire, la démarche séduit d’autant plus qu’elle ne s’accompagne pas d’un langage « djeunes », aussi artificiel que démagogique. A l’heure où, de par le monde, des allumés peu éclairés des trois religions monothéistes – en matière de religion, l’alliance d’« allumé » et de « peu éclairé » n’appartient pas au champ de l’oxymore, mais à celui du pléonasme – tentent de réduire les libertés des femmes, de rogner leurs acquis et d’exercer leur pouvoir de nuisance jusque dans les sphères politiques, il n’est pas inutile de rappeler les combats, les sacrifices que des héroïnes, consacrées ou oubliées, menèrent pour promouvoir l’égalité des sexes.
La première femme abordée dans l’ouvrage est aussi la première de la légende biblique, Eve, dont la seul « faute » fut la curiosité dans le meilleur sens du terme, la soif de connaissance. Les hommes, et particulièrement Augustin d’Hippone, ont interprété ce geste d’intelligence comme la source de tous les maux de l’humanité, en inventant la fiction du « péché originel » ; cette stratégie répondait peut-être au souci de faire oublier le rôle timoré et peu reluisant qui avait été dévolu à Adam dans cette scène…
Bien entendu, ce livre est abondamment illustré. On retrouve, dans quelque pages, la technique hyperréaliste qui fut celle de l’artiste au début de sa carrière ; d’autres répondent davantage à l’exercice plus classique du portrait, souvent d’après photo et toujours ressemblants.