Hasard. Je rencontre des gens de mon âge qui habitaient à quelques numéros de ma maison, lorsque j'étais enfant. Nous avons fait nos études dans les mêmes établissements pendant pas loin de vingt ans. Et, pourtant, je découvre un monde inconnu. Alors que ma famille vivait repliée sur elle-même, chez mes voisins, c'était la fête et la joie de vivre. Ils appartenaient à des communautés, espagnoles, portugaises, italiennes, unies. Et ils profitaient à plein des services qu'offrait la mairie de notre ville. J'ignorais qu'elle était aussi généreuse, et même qu'elle existait !
Qu'avions-nous donc de particulier ? Il y avait quelque chose qui ressemblait aux fêtes de mes voisins chez moi. Ma famille est corrézienne, et, dans certaines occasions, essentiellement les mariages, elle faisait une fête corrézienne, en patois corrézien. Mais, peut-être parce que ces occasions étaient rares (nous n'avions pas les locaux pour), la tradition s'est perdue. Surtout, je comprends maintenant que mes parents ont énormément travaillé. Tous les deux ont passé leur vie à passer des concours. Et, quand ils avaient du temps, à retaper leur maison, ou leur voiture. Ma mère, d'ailleurs, était très fière de sa connaissance de la mécanique ! Et en plus, autre découverte récente, ils étaient extrêmement endettés. Ma mère à remboursé des emprunts quasiment durant toute sa vie. Car, en dépit de tous les titres qu'ils avaient accumulés, ils gagnaient finalement très peu. S'ils ont eu l'illusion du confort, c'est surtout parce qu'ils ont dépensé extrêmement peu. Toute dépense était un placement !
Je pense que mes parents ont cru avoir acquis un statut de privilégiés, alors que beaucoup de monde vivait bien mieux qu'eux. Paradoxe
de l'affaire, tout ce stress m'a été épargné, il m'a même fallu plus
d'un demi-siècle pour apprendre son existence, et j'ai été le principal
bénéficiaire de leur travail. Et pourtant, j'ai vécu une jeunesse
sinistre.