Le gibier à plumes dans toute sa splendeur et sa diversité de saveurs
Un des évènements majeurs de la saison du gibier fut la décision de Philippe Labbé, chef de la Tour d’Argent, de proposer deux Menus « Retour de Chasse ». Le mois d’octobre, en trois jeudis dans le mois, était dédié au gibier à plumes exclusivement, et en novembre le gibier à poils sera à l’honneur. Deux menus extraordinaires au sens premier du terme, sortant en effet de la norme et de l’ordinaire par la richesse des plats proposés, et par le talent d’un chef d’exception qui a présidé à l’élaboration des plats.
L’homme connait son affaire, lui qui s’est retrouvé dans les cuisines de l’Auberge des Templiers à la grande époque, en pleine Sologne, où le gibier arrivait avec les plumes et les plombs qu’il fallait apprêté avant de songer aux préparations. Travail épuisant mais qui vous fait comprendre les bonnes manières de traiter perdreaux, colverts, et autres sangliers et biches.
Des premières bouchées, un bouquet de la plaine, palombe, présenté en brochettes, jusqu’au pré-dessert, c’est un festival de saveurs puissantes mais mesurées, d’odeurs étourdissantes et de parfums subtils. Le gibier, en cuisine comme dans l’assiette, est un monde à part, limité dans le temps, qui rajoute encore à son côté mythique sinon mystérieux tant il est de plus en plus rare de se confronter au sauvage dans une société qui pense son temps à édulcorer les goûts et surtout les goûts forts.
Ce travail d’orfèvre commence mezza voce, pour ne pas attaquer de front un plat, mais entrer progressivement dans un autre monde, celui des forêts et des bois, des plaines froides du petit matin brumeux, des animaux qui ont connu la vie, la vraie. Eux, au moins, ne sont pas morts pour rien car le respect est de mise et pas un chef digne de ce nom ne se risquerait à préparer un perdreau déstructuré ou un lièvre rehaussé de yuzu. En tout cas pas Philippe Labbé dont le talent tient de cet équilibre parfait entre le respect et l’imagination créative.
Trois bouchées au gibier, trois variations sur le thème en montée progressive. Ce n’est pas du Mozart mais presque du Wagner. Une sorte de souffle épique arrive en vagues. Un Bonbon croustillant de pains d’épices aux foies de gibier, une tartelette de gribiche d’œuf de caille de vigne (éblouissante !), et une exceptionnelle Brioche vapeur truffée, farce de canard, cèpes, foie gras, et truffes d’automne.
La grouse, c’est particulier. Elle attire ou elle rebute. Une chair puissante, à l’amertume marquée qui impose un choix cornélien : l’atténuer ou la sublimer. Jouant sur l’origine écossaise de l’animal, le chef l’accompagne d’un jus de cuisson au whisky légèrement tourbé, de cèpes juste saisis et d’une purée de betterave. Une légère sous-cuisson qui permet de conserver la saveur pure, nette et spécifique de la bête.
Perdreau « pattes grises » rôti en feuille de vigne, jus au Calvados, pommes rôties, choux rouge, et choux de Bruxelles. Un plat absolument superbe, d’une grande finesse, respectant la chair de l’animal avec cette variation « normande » sur l’accompagnement. Une merveille.
Colvert à la royale. Variation sur le thème de la recette appliquée au lièvre, avec une chair très confite, jus au sang, puissant, concentré, et un accompagnement de purée de betterave qui apparait comme le légume idéal et de saison pour le chef avec le gibier. Un parti pris qui donne un plat un peu mou, peu usuel avec le colvert, car il manque la force du lièvre.
Quel dessert après un tel festin ? On reste en automne avec les cèpes, mais sucrés et légèrement fumés, arrosés d’huile d’olive avec parcimonie et un sorbet aux cèpes. En prime surréaliste, une boule de sucre diaphane et transparente qui se brise comme du verre en mille morceaux brillants. Jeu de l’esprit pour des jeux de saveurs, en un final toujours dans l’esprit du repas et du gibier.
L’immense sommelier David Ridgway a choisi un seul vin pour accompagner ce repas, mais quel vin ! Une Côte Rôtie 2003 Champin le Seigneur de Jean-Michel Gerin. Une pure merveille de finesse et de puissance retenue, soyeux et gourmand, riche de plaisir, carafé en début de repas.
Philippe Labbé a réalisé un chef-d’œuvre de menu, d’une richesse, d’une diversité et avec une technique proprement incroyable. Le gibier à plumes dans toute la splendeur de sa diversité des goûts et des textures, toujours mis en valeur par des alliances parfaites qui n’envahissent pas le plat. Le festival d’un grand chef pour des palais avertis ou pour des avides de découvertes. Le gibier transcende certains chefs. C’est le cas pour Philippe Labbé qui lui, transcende le gibier. Un moment unique dans l’année et dans la vie d’un gourmet. Le festival reprend en novembre avec le gibier à poil.
www.tourdargent.com
Menu unique au déjeuner : 240 €, par personne
Menu « Retour de Chasse »
Gibier à poils
Les jeudis 10, 17 et 24novembre
15, quai de la Tournelle
75005 Paris
Tél : 01 43 54 23 31
www.tourdargent.com
Voiturier
M° : Maubert Mutualité
Fermé dimanche & lundi