Je me demandais qui était Nathalie M'Dela Mounier. Le nom est atypique et il me renvoie à des patronymes sud-africains pour son volet africain. Elle est au croisement de plusieurs trajectoires. Les Antilles d’abord puisqu’elle est une métisse de ces îles. La Bretagne ensuite où elle est actuellement basée, terre où elle possède un ancrage familial. La Côte d’Ivoire où elle a longtemps séjourné et construit une famille. Le Mali où son engagement trouve un profond écho, en partie en raison du travail qu’elle réalise avec l'alter-mondialiste Aminata Dramane Traoré.
"Les Désenfantées" s’inscrit dans le prolongement de l’ouvrage d'Aminata Dramane Traoré, "L'Afrique mutilée". Il s’agit d’une pièce de théâtre. Le projet est le suivant. Poussé par sa mère, Amadou, le seul garçon d’une fratrie, part pour l’Europe par les voies dites illégales. Il échoue aux portes de Ceuta et Melilla et sur d’autres tentatives d'accoster en Espagne ou en France. La question n’est pas trop de savoir pourquoi le projet d’Amadou a échoué. Mais, c’est surtout le regard qu’Amadou porte sur ces différentes tentatives, les morts par dizaine sinon centaine dont il a été le témoin. Il fait une volte-face étonnante et qui mérite qu’on s’arrête dessus. Alors que Frontex approfondit sa veille sur la Méditerranée, il abandonne la possibilité d’un avenir supposé meilleur mais inaccessible en Europe pour aller combattre en Syrie puis peut être au nord de son pays qui ressemble au Mali. La pièce de théâtre commence alors que lui et une jeune française tentent de rejoindre de multiples connexions.
D’un autre point de vue, il y a celui des mères. Fatoumata. Une ancienne hôtesse de l’air dans une autre vie qui depuis a eu de nombreux enfants dont Amadou est l’unique garçon. Odile. Alice, la jeune française est sa fille unique. Tout commence autour d’un désir de communiquer ou sur le constat d'une absence de communication. Fatoumata n’a pas de nouvelles de son fils. Elle attend désespérément qu’il lui fasse part de sa réussite comme d’autres avant lui y sont parvenus, malgré l’âpreté du parcours pour arriver en France. Odile constate le départ de sa fille, avant de réaliser la terrifiante destination de cette dernière. Quand Amadou contacte enfin sa mère, c’est pour lui annoncer son changement radical de trajectoire.
Le problème se pose différemment avec Alice, dans une société où la misère sociale n’est pas le seul motif pour se réaliser dans un conflit comme celui de la Syrie. La quête d’un sens à la vie. L’absence de dialogue. Et de manière plus spécifique et tendancieuse, finement exploitée par la jeune fille, un héritage de la violence insoupçonnée dans la famille. Les silences nourrissent de dangereux venins qui semblent inextricables une fois qu’ils sont inoculés. Le texte est militant. Les souffrances des deux mères étant confrontées par la possibilité d’un dialogue. Et ce que j’aime dans le fond dans ce texte est le processus de réconciliation possible par la libération de la parole qui offre la possibilité de la prise de conscience sur les maux réels. Rappelons que j’ai lu ce texte dans le cadre de la préparation d’une conférence sur le thème de la réconciliation en Côte d’Ivoire (Festival Paroles indigo). Il me semble que la parole libérée par ces mères offrent non seulement la possibilité de saisir des maux locaux, mais également les imbrications de certaines problématiques qui rassemblent Amadou et Alice. Ici, le débat s’inscrit dans l’intime et dans la famille. Les fondamentalistes se nourrissent du mal être de ces jeunesses africaines ou européennes, dans des proportions discutables. Jeunesses non accompagnées. C'est ce que je retiens de cet ouvrage qui, je l'espère, sera joué en France et en Afrique.
Nathalie Mdela-Mounier, Les désenfantées
Editions Taama, première parution en 2015