Voilà des semaines que des ONG représentant la société civile tentaient de négocier pour faire évoluer le droit qui protège des pesticides. Mais le droit ne bougera pas. Elles l'ont constaté le 9 novembre lors de la réunion de la Commission des produits phytosanitaires, des matières fertilisantes et des supports de cultures (CPPMFSC) à laquelle elles ont été conviées et qui s'est tenue au sein du ministère de l'agriculture. A l'ouverture de cette réunion, les ONG ont constaté que le texte présenté était déjà écrit montrant ainsi que le gouvernement n'avait absolument pas avancé sur la question de l'épandage des pesticides et n'avait pas pris en compte leurs demandes pour la protection des citoyens et de l'environnement. Ne souhaitant pas le cautionner, les ONG ont aussitôt quitté la réunion. Explications :
Leurs demandes ont commencé en juillet 2016 quand un arrêté relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des pesticides est devenu caduque (voir encadré Info+). "L'évolution de cet arrêté est très importante car elle peut soit améliorer le sort de milliers de français et la qualité de nos eaux au regard de l'exposition aux pesticides soit au contraire amplifier les effets néfastes de ces toxiques" explique l'association Générations Futures. Mais tandis que les ONG allaient dans un sens, le monde agricole allait dans l'autre : il menait un lobbying intense pour un allègement des contraintes liées à l'utilisation des pesticides. Qu'a fait le gouvernement à l'issue de ces négociations ? Il a choisi le statut quo.
L'épandage des pesticides continuera de polluer la vie des riverains
La situation des riverains des cultures industrielles, dont la santé est mise en danger par les épandages de pesticides, ne changera donc pas. Il faut savoir que seulement deux règles les protègent aujourd'hui. Deux règles qui sont bien insuffisantes et difficiles à contrôler.
La première règle est la suivante : les pulvérisations et épandages de pesticides en poudre sont interdits quand la vitesse du vent est supérieure ou égale à 19 km/h. Mais comment prouver la vitesse du vent ? Des plaignants ont été déboutés par la justice parce qu'ils s'appuyaient sur la vitesse enregistrée par la station météo la plus proche et non pas sur celle effective à l'endroit et au moment précis du traitement. "Cette règle est inapplicable, il faut la modifier", a demandé Nadine Lauverjat, coordinatrice de l'association écologiste Générations Futures. Pourtant, les agriculteurs voulaient ajouter de nouvelles conditions : cette vitesse du vent devait durer plus de 10 minutes à une hauteur supérieure à deux mètres au-dessus du sol, à l'endroit précis du traitement. Impossible à prouver !
La deuxième règle censée protéger les riverains des épandages de pesticides est celle des zones non traitées (ZNT), imposées autour des habitations et des cours d'eau. Ces zones sont de 5 mètres, 10 mètres ou 20 mètres (selon les produits utilisés) " en bordure des lieux d'habitation ". Bref, autant dire que les tracteurs peuvent pulvériser leurs pesticides sous les fenêtres des riverains ! D'autant que les agriculteurs ne sont pas tenus de préciser les produits qu'ils épandent !
Pour se simplifier la vie, les agriculteurs ont demandé à limiter les ZNT à 5 mètres dans tous les cas. "Cela serait une régression. Certains agriculteurs ont déjà mis en place des ZNT de 50 mètres autour des nouveaux vergers", a précisé Nadine Lauverjat.
Après les graves problèmes de santé survenus dans une école cernée de vignes dans le bordelais, et pour tenir compte des nuisances dont se plaignent les riverains, les ONG ont demandé que ces zones soient de 50 mètres, et cela à partir des bordures de propriétés et non des habitations car on vit aussi dans les jardins.
"Pour la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), des ZNT de 50 mètres sacrifieraient 4 millions d'hectares, mais on peut les cultiver sans utiliser de pesticides, en développant l'agriculture biologique", a expliqué François Veillerette, directeur de l'association Générations Futures.
"La santé des agriculteurs, la FNSEA s'en fout et s'en contrefout"
Autre point de discorde : la protection des ouvriers agricoles. Le délai pour revenir travailler dans un champ après traitement (appelé délai de rentrée) est de 6h, 8h, 24h ou 48h selon les situations (milieu fermé ou ouvert) et les produits utilisés. Des délais bien courts en vue de la dangerosité des produits ! Pour preuve, une série d'analyses menée par Générations Futures (l'enquête APAChe) a montré une imprégnation par les pesticides des cheveux -et donc de l'organisme- des ouvriers agricoles. Plus de 36% des molécules retrouvées sont suspectées d'être des perturbateurs endocriniens (PE) et plus de 45% des molécules retrouvées sont classées cancérigènes possibles !
Pourtant, la FNSEA (la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) a demandé que soit raccourci ce délai de rentrée " en cas de nécessité motivée par des circonstances exceptionnelles ". Une définition qui ouvre la porte a bien des dérogations...
" Nous sommes les seuls à défendre la santé des agriculteurs. La FNSEA (qui est censé les défendre) s'en fout et s'en contre-fout ", s'est indigné François Veillerette.
Les cours d'eau contineront d'être pollués
Dernier point noir : les cours d'eau. Le Commissariat général au développement durable (CGDD) s'inquiétait en novembre 2015 qu'au moins un pesticide soit présent dans 92% des points de surveillance et au moins 10 pesticides dans 50% d'entre eux. A tel point qu'une vingtaine d'arrêtés préfectoraux ont été pris pour lutter contre une contamination généralisée des eaux.
Contre toute attente, les agriculteurs ont demandé des dérogations aux règles actuelles déjà très insuffisantes. Les zones non traitées autour des cours d'eau qui sont de 5 mètres, 20 mètres et 50 mètres selon les situations, devraient selon eux passer à seulement 5 mètres pour les points d'eau figurant en traits discontinus sur les cartes IGN et à 3 mètres "avec un dispositif de réduction des risques".
"Epandre des pesticides aussi près des cours d'eau va contribuer à la contamination des rivières. D'autant plus que la réglementation exclut à tort les fossés, laissant la possibilité de les traiter avec du désherbant, ce qui est couramment pratiqué" ont répondu les ONG qui ont demandé une meilleure protection de tous les cours d'eau. Mais sur ce plan non plus, elles n'ont pas été entendues.
Le combat contre les pesticides continue
"Alors qu'une majorité de français attendent des mesures de protection face aux dangers des pesticides, le Gouvernement semble sourd et aveugle. Par manque de courage et de lucidité politique, il refuse de prendre les décisions qui s'imposent en matière de santé publique et de protection de l'environnement, cédant aux sirènes alarmistes et grossières de certains représentants agricoles" se désole aujourd'hui l'association Générations Futures. "Si aucune mesure réelle de protection n'est prise, nos organisations vont continuer à recevoir des appels au secours de trop nombreuses victimes des pesticides - qu'il s'agissent de professionnels ou de riverains, de même l'environnement et nos cours d'eau continueront d'être pollués par ces toxiques. Il ne nous restera plus alors que les recours juridiques pour faire entendre nos positions, défendre l'environnement et la santé des personnes exposées" explique-t-elle.
Ainsi, le combat continue. L'ONG France Nature Environnement a lancé une grande pétition pour mobiliser les Français initulée "Demandez aux ministres de tenir les pesticides loin des riverains" sur son site www.fne.asso.fr.
Anne-Françoise Roger
A lire en complément :
le communiqué de Générations Futures "Le Gouvernement français cède aux pressions de la FNSEA et refuse de garantir un haut niveau de protection de l'environnement et des populations exposées aux pesticides"