(feuilleton) Cécile Riou, "Phrase unique", 3

Par Florence Trocmé

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(…) qui ne devrait pas vous déranger ainsi. Comment avez-vous trouvé ma synthèse ? – Madame, je ne suis qu’un simple amateur, moi, la musique, à vrai dire… – Vous n’avez pas aimé ? Madame je ne suis qu’un simple amateur. –Vous n’avez pas aimé ? – Il faut que mardi on lise ensemble. –Et la déco vous l’avez avec ? – Vous n’avez pas aimé ? – Ce n’est pas que ça ne va plus – Et la déco vous l’avez avec ? – Mais il y a comme un vide, un creux là – Ce n’est pas que ça ne va plus  –Film bloqué-e  – Mais il y a comme un vide, un creux là  – Besoin de toi
– Film bloqué-e – Il n’a rien dit, erreur irréparable  – Besoin de toi  – Eh ! qu’est-ce qui s’est passé sans faire exprès
– Il n’a rien dit, erreur irréparable – Laisse le faire  – Eh ! qu’est-ce qui s’est passé sans faire exprès. – Aller très doucement
– Laisse le faire. – Madame je ne suis qu’un simple amateur. – Aller très doucement. – Il faut que mardi on lise ensemble (…)
(…) si les dinosaures laissent leur empreinte dans les biscuits. Dans la rue tu ne peux pas plus qu’ailleurs fermer les oreilles dénuées de paupières pas arrêter le ronflement lourd des voitures, et le crissement de la roue de poussette, et le rire des jeunes filles et le hurlement des voitures qui freinent accélèrent klaxonnent accélèrent souffle d’air lourd déplacé tintement du vélib’ auquel est accrochée une chaine de Canterville tacatacatacataca des chariots, deux se croisent et l’un va plus vite que l’autre (une main téléphonant, les trois autres non) talons pas très hauts tac tac tac tic tac un chariot violet grince franchement, grimace de son, poussette plus talons chariot à quatre roulettes deux couinent il paraît que l’air est dix fois plus pollué dans les appartements que place de la Bastille chariot plus sifflement content de celui qui porte une baguette et des Stan Smith bleues il paraît que la paupière c’est le cas(…)
(…) -que que l’on pose sur la banquette, un peu par politesse un peu pour regonfler les cheveux, qui peut être un chapeau noir de feutre de laine déformé par la pluie, alors jusqu’à vos narines monte l’odeur aigre, animale, du mouton déshabillé à la tondeuse, mis en tas, lavé en bain, frotté, frotté, feutré, odeur de suint, de graisse propre et s’insinuant jusqu’aux narines de ces autres voyageurs ferroviaires qui agitent bruyamment les ailes de leur nez ouvrant fermant les narines cherchant le mouton sous les sièges, eux jeunes gens parfumés à la vanille de déodorant, à la noix de coco de Bounty, réfugiée dans leur cou sous leurs aisselles sur leurs cheveux soigneusement coupés asymétriques, si bien qu’à les voir si unis dans leurs deux carrés de quatre remonte un ancien suint de singularité qui embrume le cerveau, où ai-je lu « comme une chaine de crépidules bien serrées les unes contre les autres », le chapeau noir posé sur la banquette deuxième classe c’est une crépidule seule, cherchant une ri-(…)
(…) dule, ou une rime dans le tapis de mousse dans lequel s’impriment les traces profondes des doigts et des orteils, doigts en éventail, orteils joints sur la mousse qui ne se dérobe pas, tandis que l’odeur de fumé et d’antique qui  se déploie dans l’air calme vous déconcentrerait, évoquant ce relent de vieille maison de la campagne, qui n’est pas de moisi car le moisi sans l’humidité n’existe pas, qui n’est pas l’odeur de la crème à la rose qu’appliquait votre grand-mère sur son visage à la peau fraiche, qui n’est pas cette tendresse un peu trop oubliée mêlée de haut-le-cœur rance, qui n’est pas ce « réseau d’or où les cœurs des hommes se prennent plus vite qu’aux toiles d’araignées les cousins » car le tapis est de thermoplastique élastomère de couleur sombre et absorbant, relativement (…)