Au XIVème siècle, pour conserver chez certains garçons leur voix d’enfant, une pratique consistait à les faire gonadectomiser, c’est-à-dire castrer. L’opération, qui apparaît relativement drastique voire barbare de nos jours, était considérée comme normale et dépourvue de tabou à l’époque et permettait d’alimenter les cours princières de toute l’Europe en chanteurs exceptionnels. Peut-être les siècles qui viennent jugeront le nôtre barbare en considérant la hontectomie.
La hontectomie, c’est cette opération qui se pratique un peu partout, à tous les âges de la vie mais souvent très tôt, notamment chez les militants politiques et les étudiants de certaine grande école, et qui permet de fournir la République en hommes et femmes politiques, en flux continu. Cette opération consiste à éliminer toute trace de honte chez le candidat ce qui lui permettra de débiter n’importe quelle ânerie, de faire n’importe quel coup pendable, de compromettre et se compromettre sans la moindre limite ni la moindre gêne (avec laquelle il n’y aurait plus de plaisir).
Au passage, il n’est pas rare que cette hontectomie s’accompagne d’une gonadectomie rapide qui explique à la fois la prise de poids et la perte de tout courage, de toute capacité à prendre des décisions audacieuses.
Cette hontectomie, pratiquée massivement sur des milliers d’individus au départ normalement constitués, en France et de nos jours (et qui nous sera certainement reprochée par nos descendants) permet de retrouver des spécimens parfaitement dépourvus de la moindre honte à tous les étages du mille-feuille administratif et électoral français. Si l’Église et les puissants d’Europe étaient de grands consommateurs de castrats, l’État républicain n’a jamais diminué son appétit pour des hontectomisés toujours plus nombreux. Est-ce la politique française si spéciale qui réclame une telle production de hontectomisés, ou est-ce la présence toujours plus envahissante d’opérés de la honte qui favorise l’émergence d’une politique française de plus en plus spéciale ? Allez savoir. Toujours est-il qu’il devient maintenant difficile de trouver des politiciens correctement azimutés, disposant d’un peu de probité ou d’une morale solidement chevillée au corps.
À ce titre, on pourrait citer des milliers d’exemples de hontectomies réalisées très tôt, ou lister le nom de plusieurs hontectomisés célèbres, mais je voudrais m’attarder sur une récente péripétie politique qui illustre à elle seule que non seulement, cette mode de la hontectomie massive s’est étendue partout, mais qu’elle touche des individus qui ne savent même plus qu’ils ont été opérés tant l’ablation fut réalisée il y a longtemps.
Et pour cela, nous allons devoir revenir quelques jours en arrière, au moment de la publication de « Un président ne devrait pas dire ça », ce livre qui décidément fera date. Dans ce dernier, les deux journalistes reviennent en détail sur les entretiens qu’ils ont pu avoir avec le président de la République et nous livrent donc certaines confidences sur la vie à l’Élysée, les difficultés du président, ses opinions parfois tranchées sur les politiciens, ses petites manies, etc…
La recette fait mouche puisqu’elle contient tous les ingrédients d’une bonne bisbille politicienne : en jetant les déclarations plus ou moins « off » de Hollande en pâture à tout le monde, les auteurs sont sûrs de déclencher la consternation à gauche et la colère à droite. Pari gagné puisque le livre se vend bien (très bien, même), et qu’il est à lui seul crédité d’enfoncer Hollande si bas dans les sondages que sa candidature à un nouveau mandat en serait compromise.
Cependant, au milieu de la bonne giclée de petites phrases acidulées que les journalistes reportent consciencieusement dans leur ouvrage, on découvre une bordée d’informations pourtant classées « secret défense » dont Hollande aurait fait part et qui se serait donc retrouvé dans le livre.
Les réactions ne tardent pas, et c’est là qu’on comprend toute l’ampleur de la hontectomie.
On comprend dans un premier temps que Hollande, président de la République, a donc livré des informations secrètes à des journalistes non accrédités, sans sembler le moins du monde inquiet. À ce niveau de responsabilité, pour quelqu’un qui a, théoriquement, le pouvoir de déclencher une guerre nucléaire ou, au moins, de faire assassiner des gens à distance pour le fun ou plus, on mélange une décontraction parfaitement irresponsable avec une irresponsabilité crasse qui met potentiellement la vie de plusieurs personnes en danger (soldats en premier).
Pour Hollande, la hontectomie fut totale, complète et probablement réalisée si jeune qu’il n’a jamais vraiment souffert de cette condition.
Plus gênante est la hontectomie que les deux journalistes ont manifestement subie eux aussi. À aucun moment ne semble leur être venu à l’esprit que divulguer une telle information pourrait éventuellement porter préjudice à pas mal de monde, bien au-delà de la sphère politicienne qui mérite amplement les emmerdes qui lui tombe sur le coin de la figure. Cette hontectomie passera d’ailleurs presque inaperçue tant personne, ni sur les bancs de l’Assemblée, ni ailleurs, ne semble un tantinet choqué que des journalistes reportent ainsi des informations classifiées sans s’embarrasser d’éthique.
Le pompon est cependant atteint par les députains élus de l’Assemblée nationale qui, tombant sur la pépite, n’ont pas pu s’empêcher de montrer les cicatrices purulentes de leur hontectomie pourtant pas récente.
D’un côté, on notera tous ces députés qui n’ont absolument pas réagi. Hollande, président, qui balance du secret défense dans les pattes d’un journaliste ? Rien de grave, circulez, c’est banal. Des journalistes qui en font un bouquin ? Même pas mal, on regardait ailleurs.
Le sordide atteint son paroxysme lorsqu’enfin des députés réagissent. Ils sont de l’opposition, évidemment, mais trouvent tout de même qu’on est allé un peu trop loin, non mais alors. Pierre Lellouche propose donc d’engager une procédure de destitution du président, puisque telle serait la règle en cas de manquement grave à sa fonction. De son côté, Éric Ciotti saisit le procureur de la République et dépose plainte, parce que bon, l’occasion est trop bonne pour la laisser passer.
Et c’est un peu là le souci, à nouveau : toute l’opération n’est pas l’occasion de rappeler à tous, élus en premier, au premier rang desquels on trouvera le président de la République, qu’on ne badine pas avec les secrets de l’État et la vie de nos soldats. Non. L’opération, après analyse, s’avère presqu’exclusivement une pure opération de politique politicienne dont certains députés nous révèlent la teneur exacte : en lançant cette procédure, on va gêner furieusement le candidat Hollande, oui, certes, mais il ne faudrait pas le gêner trop, de peur de le faire tomber et d’avoir un autre adversaire, plus coriace, aux prochaines présidentielles !
C’est ainsi que Christian Jacob, le patron des députés Les Républicains, balance sans sourciller que, je cite :
« Ce n’est pas à nous d’affaiblir Hollande. Au point où il en est, nous n’aurons pas de meilleur adversaire socialiste que lui…. »
Pensez donc ! Balancer du secret défense aux journalistes, c’est un coup à se faire destituer, sauf si on est une brêle politique qui prend de la place et offre donc de vraies chances de victoire à l’opposition. Auquel cas, jouer avec ce même secret défense, c’est presque du bonus, un truc LOL de jeune qui se la donne, une petite fantaisie peinard.
Et alors qu’un justiciable lambda, qui aurait commis une telle faute, se trouverait trainé en justice sans réel espoir de passer au travers, on peut garantir que le président, hontectomisé, ne s’en portera pas plus mal, que les journalistes, hontectomisés, ne devront rendre aucun compte, que les députés qui s’en foutent continueront à s’en foutre, que ceux qui s’en offusquent pourront continuer à le faire pour des raisons purement politiciennes, et surtout on peut garantir que tout ce petit monde continuera à nous vendre une morale, des valeurs républicaines, honneur et probité alors qu’aucun de ces tristes sires n’en ont un échantillon à nous faire voir.
Honteux.
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