Traditionnellement, durant le temps de l'interclasse (ou pause méridienne) dans les écoles élémentaires publiques parisiennes, l'animateur assure davantage un rôle de surveillant que de véritable animateur. Dans ce cas de figure, la mission principale qu'il occupe consiste à assurer la sécurité physique et morale des enfants, ce en apprenant aux enfants à respecter les règles de vie collective. Concevoir le temps de l'interclasse comme un temps de surveillance de longue récréation pose un double problème : d'une part, un certain nombre d'enfants trouvent ce temps long et disent qu'ils s'ennuient et réclament que des activités soient proposées ; d'autre part, un certain nombre d'animateurs tendent à s'ennuyer dans la réduction de leur rôle à celle de surveillant et un animateur qui s'ennuie, c'est un animateur qui se désinvestit. Si la réduction de l'animateur interclasse à un rôle de surveillant pouvait être compréhensible lorsque le taux d'encadrement était d'un animateur pour 30 enfants, le passage de ce taux à un animateur pour 18 enfants ouvre la possibilité de reconsidérer le rôle de l'animateur interclasse et de lui proposer de nouvelles missions pour redonner du sens à son métier.
Je voudrais mettre en lumière comment la mise en œuvre du projet de l'Assemblée des enfants permet à l'animateur d'élargir ses missions et de faire vivre les deux principaux axes éducatifs de la charte des activités périscolaires de la Mairie de Paris que sont " aider l'enfant à s'épanouir " et " apprendre à vivre ensemble ".
Apprendre à vivre ensemble ne se réduit pas à apprendre à respecter les règles de vie collective. Vivre ensemble, ce n'est pas seulement coexister dans un espace donné sans violence. Apprendre à vivre ensemble est un processus éducatif en mouvement, animé par une dynamique citoyenne. Le temps de l'interclasse peut tout à fait être un espace de construction de cette dynamique citoyenne. Ce que nous montrent les résultats de la première année d'expérimentation du projet de l'Assemblée des enfants, c'est que les enfants peuvent être, lorsque l'équipe d'animation leur offre un cadre d'expression adéquat, des citoyens d'aujourd'hui et non seulement des citoyens de demain. Autrement dit, il ne s'agit pas seulement de les préparer à devenir citoyen, il s'agit d'abord de leur permettre d'exercer leur citoyenneté ici et maintenant.
L'exercice de leur citoyenneté comprend plusieurs niveaux :
- La découverte et l'appropriation du processus démocratique (campagne électorale, vote, discussion et prise de décision)
- L'exercice du droit de liberté d'expression sur les règles de vie collective - en discuter et participer à leur (ré)élaboration permet de mieux en comprendre le sens
- L'engagement dans la création et réalisation de projets collectifs.
Je voudrais insister sur ce dernier point car à travers l'Assemblée des enfants, la liberté d'expression des enfants a permis de déboucher sur une libération de leurs possibilités et désirs d'action. C'est en prenant au sérieux le slogan d'une enfant élue l'an dernier, qui promettait de faire un bonheur à l'école en animant un atelier danse, que j'ai saisi l'occasion de faire de l'Assemblée des enfants un espace où les enfants se découvrent et s'engagent véritablement comme porteurs de projets.
Accorder de la liberté aux enfants permet de les responsabiliser et de leur transmettre le goût de l'engagement. Plusieurs enfants élus voyant leur camarade s'engager dans l'animation d'une activité ont adopté une posture d'élu actif et ont décidé de concevoir eux aussi des projets d'activité à animer eux-mêmes. Cette initiative a permis de repenser le rôle de l'animateur en lui permettant d'accomplir une des missions de la fonction d'animateur telle que la définit le BAFA, à savoir accompagner les mineurs dans la réalisation de leurs projets. En somme, l'animation de l'Assemblée des enfants permet à l'animateur et aux enfants d'être acteurs de projets. En tant qu'animatrice de l'Assemblée des enfants, je peux leur partager mon expérience d'actrice de projet afin de les accompagner au mieux dans les différentes étapes de réalisation d'un projet, de l'idée à l'action. De plus, les activités qui sont nées de projets d'enfants, telles que l'atelier de danse, l'atelier créatif ou encore le club cinéma, ont toutes été accompagnées par un animateur référent. Les projets d'enfant nés de l'Assemblée des enfants ont donc permis à d'autres animateurs non responsables de l'Assemblée des enfants de s'impliquer eux aussi comme accompagnateurs dans la réalisation de projets d'enfant.
Le fait de permettre aux enfants d'être porteurs de projets et animateurs d'activité permet de les aider pleinement à s'épanouir. D'une part, cela leur apprend être autonomes et ne pas systématiquement être en attente des propositions d'activités venant des adultes. D'autre part, en adoptant la posture d'animateur d'activité, ils prennent conscience de leurs talents et développent de nouvelles habiletés d'organisation, de communication ou encore de transmission de connaissances et/ou savoir-faire. En réalisant leurs propres projets d'activité, les enfants s'approprient ainsi pleinement leur espace de vie quotidienne durant le temps de l'interclasse, ce qui leur permet de s'y épanouir davantage.
En conclusion, l'enjeu de l'Assemblée des enfants est de redonner de la vie et du sens au temps de l'interclasse, en faisant de celui-ci, pour les adultes comme pour les enfants, un temps d'engagement et d'épanouissement de la diversité de leurs potentiels.
Personnellement, entrée dans le monde de l'animation au départ par un engagement bénévole puis en service civique et diplômée d'un Master en éducation civique, le projet de l'Assemblée des enfants me permet de réaliser ce pourquoi j'ai choisi de faire de l'animation mon métier : concrétiser ce qui m'apparaît comme la mission la plus importante de l'éducation, à savoir apprendre à vivre ensemble par l'engagement citoyen.