Les mères idéalisent toujours les fils, c'est normal, non ?
Toujours? Pas toujours. Et ce n'est pas vraiment le cas dans le roman de Lolvé Tillmanns. Les fils du livre sont en effet un certain Raphaël Cornuz et un certain Cédric Faure. Leurs mères les ont certes aimés l'un comme l'autre, à leur façon, mais de là à dire qu'elles les ont idéalisés, ce serait dire beaucoup.
Raphaël Cornuz s'est pendu dans le local technique de l'entreprise que dirige Cédric Faure. Raphaël était au bas de l'échelle: il travaillait à temps partiel et c'était l'homme à tout faire de la boîte; il faisait les petites réparations, changeait les ampoules etc. Cédric est au sommet et l'argent fond dans ses doigts, quoi qu'il fasse.
En fait les deux se sont connus sur les bancs de l'école. Ils habitaient le même quartier. A l'époque, l'un, Raphaël, était grand, fort et nul, tandis que l'autre, Cédric, était petit, malingre et bon élève. Le second était le souffre-douleur du premier. Leurs rôles se sont en quelque sorte inversés, bien des années plus tard.
Après le suicide de Raphaël, Cédric a besoin de savoir qui Raphaël était en réalité. Les mardis après-midi, se faisant passer pour un psy, il rend visite régulièrement à Odile Cornuz, la mère de Raphaël. Il écoute et relance la conversation. Odile finit par se livrer, malgré qu'elle en ait, mais elle parle peu de son fils, du moins au début.
En dehors de ses visites à Odile, Cédric, qui est le narrateur, se raconte et se livre: il a épousé Tatiana, un mannequin, dont il se demande s'il l'a jamais aimée; avec elle il a eu une petite fille, Solène, quatre ans; il couche avec Maria, une employée qui lui est toute dévouée; il a réussi, puisqu'il est PDG et membre du Rotary.
Il se trouve que les tombes de Raphaël et de la mère de Cédric sont situées non loin l'une de l'autre, dans le même cimetière de la petite ville au bord du lac, et qu'en allant se recueillir sur l'une, Cédric ne peut s'empêcher de diriger ses pas vers l'autre, de même que des réminiscences de l'un font naître des réminiscences de l'autre.
Les personnages du livre de Lolvé Tillmanns apparaissent bien réels, c'est-à-dire complexes. Tourmentés, ils ne sont ni blancs ni noirs, comme dans la vraie vie. Et, comme dirait Odile, il suffit de gratter un peu leurs apparences trompeuses pour voir les cochonneries qu'ils ont pu commettre plus ou moins délibérément dans leur existence.
Les fils, qui après tout est le récit de gens ordinaires, qui réussissent d'une certaine façon à un moment donné mais connaissent bien des revers à d'autres, est un livre où la condition humaine se fait familière, ne serait-ce que par le style employé, qui, jusque dans les pensées des personnes, emprunte au langage parler.
Francis Richard
Les fils, Lolvé Tillmans, 158 pages Éditions Cousu Mouche
Livres précédents chez le même éditeur:
33 rue des grottes (2014)
Rosa (2015)