Au camp des révolutionnaires, placé sur l'aile gauche de l'hémicycle et bientôt sous la coupe des jacobins, s'oppose une aile droite, attachée à la figure du roi. Dans son livre sur La droite et la gauche, Olivier Meuwly rappelle cette origine purement circonstancielle de ces deux expressions, qui n'ont alors aucune connotation idéologique et qui sont nées un 11 septembre, le 11 septembre 1789, à propos du droit de veto de Louis XVI...
Ce clivage, s'il eut jamais un sens, en a-t-il encore aujourd'hui? L'auteur pense que oui et qu'en toute hypothèse il correspond à une nécessité structurante. Pour le démontrer il retrace l'histoire des deux groupes qui s'affrontent depuis sous ces deux labels. Pour ce faire, il décompose son récit en huit périodes datées, qui sont autant de chapitres de son livre et qui permettent de cerner leur changement dans leur continuité:
- Le chaudron révolutionnaire, de 1798 à 1830
- La bourgeoisie conquérante, de 1830 à 1848
- Les fronts s'affirment, de 1848 à 1914
- Le bateau tangue, de 1914 à 1945
- Des glorieuse trompeuses, de 1945 à 1968
- Un héritage contrasté, de 1968 à 1989
- La grande reconfiguration, de 1989 à 2008
- La mondialisation pulvérisante, dès 2008
Compte tenu du nombre de pages qu'il s'est accordé (ou qui lui a été accordé), il a centré son exposé sur la Suisse, l'Allemagne et la France, avec des incursions en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Cela donne déjà plus qu'un aperçu de ce que ces deux expressions recouvrent au cours du temps. Car il s'agit là d'un panorama historique très dense des conceptions évolutives de la politique auxquelles elles correspondent.
Ce qui frappe le lecteur c'est en effet que ces deux expressions ne sont pas figées, ne sont pas immobiles. Et l'auteur ne se prive pas de le souligner, au cours de son exposé: le curseur [se déplace] sur l'axe gauche-droite qui structure notre propos, dit-il, dans le deuxième chapitre, des continuités ont été repérées mais aussi les ruptures ont été nombreuses, précise-t-il dans le troisième.
Il est question, bien sûr, dans ce livre de la dualité entre liberté et égalité, mais aussi du rôle de l'État (et de son rapport avec la sphère privée), de la nature du droit (de gage de liberté, il devient l'agent d'une égalité sous les auspices des droits de l'homme), de nation (doit-elle être contournée?), de liberté déterminée versus libre arbitre, d'histoire processus en mouvement et d'histoire immobile, de hasard inacceptable et de hasard qui fait partie de la vie.
Dans le chapitre conclusif, intitulé Droite et gauche: une dialectique immuable?, Olivier Meuwly, peut écrire: Gauche et droite se sont toujours renouvelées à travers le prisme de leurs propres contradictions, comme autant de prétextes à des remises en question parfois hardies. Cela ne surprend pas le lecteur puisqu'il a lu précédemment que ces deux groupes communiquent constamment, dialoguent, se regardent, s'inspirent mutuellement.
Il est donc difficile de définir la droite et la gauche sinon en les replaçant dans le contexte historique de l'emploi qui en est fait par les uns et les autres. D'autant que le pluriel s'impose, comme il s'impose au libéralisme qui se situe tantôt à gauche, tantôt à droite de l'échiquier... L'intérêt principal du livre, au-delà du fait qu'il se veut une démonstration du mouvement sans fin du débat d'idées, est donc de faire revivre l'évolution de leur acception.
Le clivage entre la droite et la gauche est-il pertinent? Je ne sais pas trop au terme de cette lecture. Ce que je sais, c'est que si les gens de gauche ne répugnent pas à se dire de gauche, ceux de droite, qui se définissent plutôt comme n'étant pas de gauche, ne revendiquent que rarement cette appellation en quelque sorte contrôlée par la gauche. Ce que je sais aussi, c'est que les hommes n'ont décidément pas fini de débattre entre eux...
Francis Richard
La droite et la gauche - Hier, aujourd'hui, demain, Olivier Meuwly, 216 pages Slatkine