Gustave Flaubert aurait dit: Madame Bovary, c'est moi. Mais cet aveu n'est pas frappé au coin de l'authenticité. Et, de toute façon, si c'est vraiment le cas, il s'est bien gardé d'écrire son roman à la première personne. A contrario, écrire un roman à la première personne ne veut pas dire que cette personne soit identifiable à son auteur.
Fabien Muller a choisi d'écrire La vitre, à la première personne. Qui plus est une jeune personne. Même si Hélène n'est pas Fabien, il faut reconnaître que Fabien écrit tellement bien à la place d'Hélène que le lecteur a la ferme impression qu'Hélène, c'est lui, et que Fabien n'a pas besoin de faire beaucoup d'efforts pour le lui faire croire.
Hélène est née à sept mois, est morte dix minutes plus tard, pour renaître à la vie et connaître des premiers mois difficiles: J'ai passé les trois premiers mois de ma vie à regarder le monde à travers une vitre dans une petite couveuse où l'on me voyait à peine. J'ai parfois l'impression que cette vitre est toujours là. Pour la séparer de la réalité.
Hélène est morte une deuxième fois à dix mois et cinq heures. Cette fois n'était pas encore la bonne, puisqu'elle est née à nouveau. Mais est-ce vraiment une vie que celle qu'elle a menée depuis? Alors, quand la vie réelle n'est pas une vie et quand elle est inadaptée au monde, rien de tel que l'écriture pour s'en évader et l'adapter à son imaginaire.
Hélène est écrivain, ou plutôt écri-vaine: j'écris comme je vomis, suite à un spasme venu de l'intérieur. J'écris des centaines de mots qui ont l'odeur de la bile et puis j'attends. Le temps de m'en remettre. Le virus de l'écriture s'est installé chez Hélène et l'histoire montre que ce n'est même pas un feu de tristesse qui peut en venir à bout.
Hélène a 28 ans. Elle travaille dans une bibliothèque parisienne, principalement le vendredi et le samedi, et elle fait des piges dans des magazines féminins: J'ai plusieurs pseudos qui me permettent d'écrire des chroniques à coucher dehors ou des histoires à dormir debout. Le lecteur sait donc d'emblée que l'autodérision ne lui est pas étrangère.
Cette autodérision d'Hélène, qui se sait en pleine dérive, qui se sent déphasée, dont l'angoisse est la première nature (même l'absence d'angoisse m'angoisse.), est la marque de son récit. Exemple: Je suis tellement décalée que je pourrais m'enthousiasmer à l'annonce d'un plan social ou d'un attentat? Des échantillons de ses chroniques confirment ce décalage.
Un père de 25 ans, Benoît, et sa fille de 8 ans et demi, Camille, entrent un jour dans sa vie. Ce sont ses nouveaux voisins. Hélène et le lecteur ne le savent pas encore, mais cette rencontre va faire basculer sa vie de manière complètement improbable. Et un événement, qui n'est pas enthousiasmant du tout, va contribuer à ce basculement.
Si Fabien Muller ménage le suspense jusqu'au bout, le passé de ses voisins jouant son rôle dans l'intrigue, le lecteur est surtout sensible au ton d'Hélène et à la vision décalée du monde qui lui correspond. C'est bien ce qui fait son charme, malgré qu'elle en ait. Et la vitre, qui l'isolait du monde, va, peu à peu, se briser, comme des yeux se dessillent.
Francis Richard
La vitre, Fabien Muller, 280 pages Olivier Morattel Editeur