Samedi 24 septembre 2016
20 heures
A l'hôtel Sourcéo de Saint Paul-Lès-Dax, les conférences du dîner du 7e Week-End de la Liberté, organisé par le Cercle Frédéric Bastiat, avec le concours de
- l'ALEPS
- l'ASAF
- Contribuables Associés
- l'Institut Coppet
- l'iFRAP
- l'IREF Europe
- Students For Liberty - France
sont consacrées l'une aux Migrations européennes en 2015 et l'autre à L'Europe: le libre échange, la libre circulation des personnes et des biens
Jean-Paul Gourévitch, consultant international, est l'auteur de plusieurs études sur l'immigration et l'expatriation pour Contribuables associés. Sa dernière étude a pour objet les Migrations européennes en 2015, thème de la conférence de ce soir.
Le conférencier, en préambule, rappelle le déchaînement médiatique que lui a valu la parution, le 11 septembre 2014, de son livre Les migrations pour les nuls aux éditions First, un ouvrage de 400 pages pourtant très documenté et aussi objectif que possible en la matière.
Jean-Paul Gourévitch a dû ce déchaînement à une dépêche de l'AFP, rédigée par une journaliste militante qui n'a rien trouvé de mieux que de dire que l'auteur était intervenu auprès d'organismes de droite en omettant de parler de ses interventions auprès d'organismes de gauche ou apolitiques.
A cette occasion, il a pu se rendre compte qu'il était impossible d'obtenir un droit de réponse à une dépêche de l'AFP ni aux médias qui s'étaient contentés de la reproduire. De ceux qui en avaient rajouté, il a pu l'obtenir.
A la faveur de ses droits de réponse Jean-Paul Gourévitch a prédit des migrations en Europe de l'ordre de 1 million à 1 million et demi en 2015. Ce sont des chiffres qui ont été corroborés par la suite par Eurostat... A l'époque d'aucuns les avaient cependant considérés comme un fantasme d'expertet l'avaient traité lui de compagnon de route de la fachosphère...
Les migrations d'une telle ampleur, que l'Europe a connues en 2015, posent un problème financier et un problème sociétal.
Le coût de l'immigration a été un sujet tabou pendant 20 ans, grosso modo de 1987 à 2007. Le premier ouvrage sur la question, L'immigration sans haine ni mépris, est rédigé par Pierre Milloz pour le compte du Front national... mais elle comporte cette mention: L'immigration, une malchance pour la France.
En 2010, il devient possible de parler du coût de l'immigration sans se faire traiter d'extrémiste de droite ou de compagnon de route de l'extrême-droite, ou d'être considéré comme instrumentalisé par l'extrême-droite.
En effet, cette année-là, Xavier Chojniki, professeur de l'Université de Lille, tire la première salve. Dans une étude il conclut à un bénéfice de l'immigration de 12 milliards €, autrement dit ce que payent les immigrés est largement supérieur à ce qu'ils reçoivent de l'État.
En 2012, Chojniki publie un ouvrage avec Lionel Ragot, L'immigration coûte cher à la France. Qu'en pensent les économistes?, le bénéfice, basé sur des chiffres de 2005 et relatif à l'immigration légale, y est ramené à 3,9 milliards €.
Tous les autres experts qui travaillent sur la question sont arrivés à des déficits. François Gemenne est le plus près de zéro: ses calculs le conduisent à un déficit de 3 à 5 milliards €, tandis que l'OCDE arrive à un déficit situé entre 3 et 10 milliards €. Marine Le Pen parle de 70 milliards de déficit...
Pour sa part, Jean-Paul Gourévitch situe le déficit à 8,9 milliards € (la balance recettes-dépenses de l'immigration régulière est déficitaire de 5,6 milliards et celle de l'immigration irrégulière de 3,3 milliards), auquel il convient d'ajouter les investissements de l'État.
Parmi ces investissements pour l'intégration des migrants, à hauteur de 6,9 milliards €, il y a:
- des investissements rentables tels que la formation, l'amélioration du logement ou la politique de la ville, mais cette rentabilité n'est pas mesurable.
- des investissements non rentables tels que l'aide au développement (dans le domaine de laquelle le conférencier travaille): cette aide devait permettre de limiter l'immigration, or c'est exactement le contraire qui s'est produit...
En 2015, Jean-Paul Gourévitch s'est intéressé au coût des demandeurs d'asile, au nombre de 79 130. En incluant le coût des migrants irréguliers non demandeurs d'asile, il parvient à un montant de 1,380 milliard € de coût des migrations irrégulières. Ce qui n'est pas énorme mais s'ajoute au déficit annuel.
En tout cas c'est un domaine dans lequel on pourrait faire des économies financières et des avancées sociétales (une majorité de Français sont en situation de rejet de l'arrivée de migrants).
La droite et la gauche sont d'accord sur deux choses. Il faudrait:
- traquer la fraude à l'identité: l'industrie des faux papiers est en plein développement de part et d'autre de la Méditerranée (200 000 par an selon Christophe Naudin et 15 000 selon la police de l'air et des frontières)
- traquer les passeurs: 3 000 selon une étude de Jean-Christophe Dumont de l'OCDE, mais, comme les Allemands en ont arrêté 1 500 en 2014 et à peu près autant en 2015, on aurait dû constater leur disparition: il devait y en avoir davantage ou leur nombre continue d'augmenter...
En fait plusieurs autres actions pourraient être entreprises:
- réduire une partie des subventions aux associations d'aide aux migrants: 50 millions sur les 200 millions € annuels
- faire contribuer les migrants aux frais de santé: paiement d'une cotisation de 50 €, qui permettrait un suivi médical de ces personnes
- faire contribuer les migrants aux frais de justice: paiement de frais de dossier de 200 €, remboursables en cas d'acceptation (18 mois de délai des recours, rejetés à 80%)
- appliquer les décisions concernant les déboutés (96% des déboutés restent en France selon la Cour des Comptes).
Jean-Paul Gourévitch évalue ces économies possibles, résultant de mesures raisonnables, à un total de 764 millions €, c'est-à-dire à plus de la moitié du 1,380 million € de coût total des migrations irrégulières.
Pour ce qui concerne le problème sociétal, ce problème est un mélange de rejet, de xénophobie et d'islamophobie.
Il y a en France 8,5 millions de musulmans, et non pas 4 millions comme le disent des gens comme Chevènement qui en sont restés aux années 1990: il y en avait déjà 5,5 millions en 1998 selon Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, et 6 millions en 2002 selon Bruno Etienne, président de l'Observatoire du Religieux. On ne voit pas comment 2 millions se seraient évaporés... d'autant qu'il y a de plus en plus de migrations et un différentiel de natalité.
Sur ces 8,5 millions, il y a environ 4 millions de musulmans actifs. Sur ces 4 millions, il y a environ 150 000 personnes qui sont proches intellectuellement de l'islamisme radical, mais pacifistes, et, sur ces 150 000, il y a environ 15 000 activistes, qui sont tout à fait prêts à commettre des attentats.
Compte tenu de cela, on comprend la peur, on comprend un certain rejet de l'islam que Jean-Paul Gourévitch ne confond pas pour autant avec l'islamisme.
Si on se projette un petit peu dans le futur, on a trois grands scénarios:
- le scénario diabolique de l'affrontement, avec ses variantes: l'invasion, la natalité, l'islamisation
- le scénario angélique du vivre ensemble, avec la multiculturalité, avec le métissage social ou avec le développement solidaire
- le scénario de la frontière, auquel on n'est pas préparé, le scénario de la coexistence, le scénario du vivre côte à côte, avec le risque de conflit quand une communauté veut intervenir chez la communauté voisine.
Jacques Garello, président d'honneur de l'ALEPS, va répéter la conférence qu'il a faite devant le Cercle Frédéric Bastiat, le samedi 8 juin 1991, sur le thème L'Europe, super État à l'américaine ou Confédération à la Suisse?, puisque rien n'a changé depuis...
Le sommet européen de Bratislava vient de se terminer sur un échec. Matteo Renzi a qualifié l'Europe d'Angela Merkel et de François Hollande de sans âme et sans horizon. Joseph Stiglitz, le plus fantaisiste, le plus hétérodoxe et sans doute le plus nul des prix Nobel, a recommandé la sortie de l'euro pour l'Allemagne afin de sauver l'Europe: ceux qui resteraient dans la zone bénéficieraient d'une dévaluation compétitive...
L'Europe est un sujet important, un choix stratégique, et qui n'a jamais été fait.
Dans l'actualité, l'importance de l'Europe n'est pas niable, avec:
- Le Brexit (bien malin est celui qui pourra dire quel chemin emprunteront l'Angleterre et l'Europe)
- L'immigration (qui ne se résoudra pas dans des États-providence où en prenant aux uns pour donner aux autres on crée des privilèges, à l'origine des haines entre les gens)
- Le traité de libre-échange entre les États-Unis et le Canada d'une part et l'Union européenne de l'autre (qui suscite des oppositions, notamment en Allemagne).
L'Europe est déterminante pour la France:
- 2/3 des textes votés par les parlementaires français sont des textes d'introduction dans le droit français de directives données par Bruxelles
- la politique monétaire et budgétaire est guidée par les choix keynésiens et socialistes effectués par la Banque Centrale européenne (des milliards d'euros ont été mis sur le marché financier pour prétendument relancer la machine, selon le précepte que plus on dépense, plus on s'enrichit...)
- l'harmonisation fiscale est un objectif poursuivi par Bruxelles: il est scandaleux que les taux d'imposition des sociétés soient de 12% en Irlande et de 33% en France, que les impôts sur le revenu ne soient pas partout les mêmes, ce qui incite des Français à déménager en Belgique ou en Suisse...
- les élites françaises partent pour des pays où leurs efforts seront récompensés.
L'Europe souffre d'un mal depuis sa création: elle n'a pas voulu choisir ce qu'elle allait être. Elle a refusé de faire un choix. Le problème est que le choix, maintenant, devient une contrainte.
Dès le début, il y a deux Europe:
- celle des vrais pères (Robert Schumann, Konrad Adenauer et Alcide De Gasperi): travailler ensemble est la garantie de vivre en paix; la dimension institutionnelle n'est pas envisagée
- celle des structures (Jean Monnet), des techniciens, de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier, d'Euratom etc.
Deux Europe s'opposent et se superposent: l'Europe de la planification et l'Europe du laissez-se-développer:
- le Traité de Rome (1957): c'est à la fois le marché et le libre commerce, et la politique agricole commune
- l'Acte Unique (1986): c'est à la fois une poussée vers l'Europe marchande et une poussée vers l'Europe planifiée, avec l'Union monétaire (ajoutée à l'instigation de Jacques Delors), qui induira les politiques monétaire, budgétaire et industrielle...
La Chute du Mur de Berlin, en 1989, a fait naître un grand espoir, vite contrebattu par les fonctionnaires de Bruxelles. Et le choix n'a jamais été fait clairement entre:
- l'Europe de la centralisation, de la planification, et celle de la liberté de circulation des personnes et des biens
- l'Europe du droit imposé et celle du droit fruit d'une lente évolution sociale
- l'Europe du pouvoir et celle de l'espace.
Un exemple de la vertu de concurrence est celui de la TVA sur les véhicules qui se vendaient TTC: en France, taxés à 30%, ils étaient confrontés à la concurrence des véhicules allemands taxés à 17%. En deux mois, la TVA sur les véhicules français a dû être baissée de 10 points... Cela n'empêche pas d'aucuns de considérer que la concurrence est horrible, même si elle est toujours bénéfique pour le consommateur...
Ce non-choix a conduit à une Europe toujours plus centralisée, plus socialisée, une Europe où l'État-providence est la règle.
Aujourd'hui le choix doit être fait parce que les Européens ne sont pas les maîtres de leur stratégie: ils sont intégrés dans un espace qui est beaucoup plus large. S'ils veulent se refermer sur eux-mêmes et se donner un pouvoir central, ils seront détruits. Pèsent sur eux deux hypothèques:
- la première: ils vont se disputer entre eux (l'Europe type Merkel n'est pas l'Europe type Hollande)
- la deuxième (la plus lourde): ils vont être balayés par la mondialisation (l'Europe surchargée de règlements et d'impôts n'est pas compétitive)
L'Europe peut imaginer cependant être celle des espaces ouverts, des espaces de libre-échange, ce qu'elle a été à la Renaissance et au XIXe siècle. Le libre-échange est en effet bon pour les gens les plus modestes: c'est le vrai progrès social, qui naît de la concurrence et de la liberté.
Le libre-échange n'a jamais signifié la division du travail, la spécialisation internationale. 2/3 du commerce mondial est fait d'échanges croisés: les Français exportent des voitures vers l'Allemagne, les Allemands en exportent vers la France etc.
Ce qui existe, c'est la communication entre les gens et la circulation des idées: peu à peu on s'enrichit parce qu'on voit ce que les autres font. Ce n'est donc pas la division du travail, c'est la division du savoir. Voilà l'intérêt de l'échange, l'intérêt du marché: permettre d'accéder sans cesse à ce qu'il y a de mieux pour tout le monde.
Quand, au contraire, on refuse au véhicule du savoir d'entrer, parce que, justement, on ne sait pas faire, cela veut dire que l'on n'est pas prêt à fragmenter son travail, à diminuer ses impôts et sa réglementation. Comme on n'est pas compétitif, on dit au véhicule de rester à la rue.
Mais, aujourd'hui, c'est l'Europe qui va rester à la rue, ou certains pays d'Europe, qui continueront à prendre l'Europe pour une forteresse contre le reste du monde.
L'Europe forteresse est une catastrophe. Les protectionnistes français disent, comme du temps de Bastiat: Ce n'est pas tellement pour nous, c'est pour l'intérêt général. Dans La pétition des marchands de chandelles, Bastiat disait qu'il fallait les protéger de la concurrence du soleil en fermant portes et volets...
Le protectionnisme est en fait une démagogie invraisemblable. On fait remarquer que ce ne sont pas les privilèges des fonctionnaires qu'on défend, ce n'est pas la SNCF, ce n'est pas l'URSSAF. Ce qu'on défend, dit-on, c'est l'intérêt général français. C'est dramatique:
L'échange est une rencontre libre entre des hommes libres. Si vous supprimez l'échange, si vous ne libérez pas l'échange, naissent l'incompréhension, puis, après l'incompréhension, la xénophobie, et, après la xénophobie, la guerre.
Entre 1930 et 1938, le commerce mondial a été divisé par 8. Les échanges étaient réduits à de purs trocs, négociés de gouvernement à gouvernement. Ce qui s'est passé? L'autre est devenu l'ennemi. Il y avait une crise? Ça venait de l'étranger. On a dit: Fermons les frontières. Enfermons-nous chez nous. Et puis la crise sera vaincue. Mais c'est la guerre qui est advenue.
Les dirigeants de l'après Deuxième Guerre mondiale ont eu l'intelligence de signer la Charte de La Havane (1947) parce qu'ils se sont rendus compte que, si cette guerre avait eu lieu, c'est parce qu'il y avait eu une flambée de nationalisme et de haine entre les peuples. Ils ont dit qu'il fallait faire tout ce qu'on pouvait pour aller vers le libre-échange:
- les tarifs douaniers ont été réduits, puis ont disparu
- les contingentements, les quota ont été supprimés
L'Europe l'a fait, en traînant les pieds...
Méfions-nous des discours nationalistes, patriotiques - aujourd'hui on embellit même le vice. Ces discours ne prédisposent-ils pas à haïr celui qui vient de l'étranger? Cela va poser des problèmes à l'intérieur des frontières et à l'extérieur des frontières.
L'Europe divisée a des racines communes. On a honte de dire que ces racines communes sont celles de la chrétienté, non pas en raison du sacrifice du Christ, qui est remarquable pour le croyant que Jacques Garello est, mais parce que la chrétienté est synonyme d'amitié, d'amour réciproque, de reconnaissance et de respect des autres, de responsabilité.
L'Europe va-t-elle prendre la voie de la liberté, de la responsabilité et de la dignité de la personne humaine, ou va-t-elle s'enfermer dans la protection, la collectivisation? Ses enfants seront-ils marqués par le déficit de connaissance et d'éducation, qui leur auront été inculquées à travers un système de monopole public?
Il faudra bien que la France et que l'Europe choisissent.
Francis Richard