Notre époque est-elle différente de celles qui ont précédé? Les suivantes seront-elles différentes? Oui et non. Oui, parce qu'il y a toujours évolutions. Non, parce qu'il y a toujours permanences. La querelle des anciens et des modernes ne devrait pas être. Les anciens croient conserver en dépit du mouvement; les modernes croient progresser en dépit de l'intemporel.
En quatre nouvelles de son recueil Djihad Jane, Olivier May aborde quatre sujets, qui sont à la fois sujets d'époques et sujets de tous temps. Il fait voyager le lecteur dans le passé, le présent et l'avenir. Et le lecteur, au-delà des différences réelles ou imaginées, retrouve les questions qui hantent les êtres humains, dans leur imperfection, depuis la nuit des temps.
Djihad Jane est apparemment la nouvelle la plus actuelle, puisqu'elle traite de l'extrémisme islamiste. Jane a appris à l'école qu'il ne fallait pas confondre islam et islamisme, qu'il fallait replacer les versets du Coran dans leur contexte. Elle a fait sa mue et n'est plus une sauvageonne depuis deux ans. Mais deux événements successifs vont changer sa vie.
Le deuxième de ces deux événements va masquer le premier. De bourreau Jane va en effet devenir victime. Sa blessure sera physique et morale et la fera régresser et devenir djihadiste dans le contexte irrationnel d'aujourd'hui, où se côtoient préjugés tenaces et angélismes gonflés de bonne conscience et de prétendue tolérance. Mais le mal est rarement absolu ...
Avec Le regard de Shamat, Olivier May met en relation deux époques lointaines: le pays de Sumer en l'an 3003 avant J.C. et le sud de l'Irak en 2003 après J.C., deux époques que séparent donc cinq mille ans tout juste:
- Shamat vit dans le sanctuaire sumérien d'Innana, la déesse de l'amour, un couvent de femmes, où elle est la favorite de la belle Nibanda. Elle a connu un homme, le Prince Kurmarbi, et attend son retour.
- Le lieutenant Earl Priest, de l'armée américaine en Irak, parle trente-six sortes de dialectes locaux. Le capitaine Mc Fergus lui demande donc de venir écouter ce que dit un prisonnier militaire dans une langue inconnue.
Dans cette nouvelle, ces deux époques éloignées finissent par se rejoindre et par se fondre dans l'éternité...
Homoplasie? Les scientifiques regroupent sous ce terme les phénomènes de convergence morphologique entre espèces d'origines totalement distinctes, caractères qui ne proviennent pas d'un ancêtre commun, mais d'une adaptation au milieu.
L'histoire se situe dans le futur et dans l'espace. Le narrateur est un pilote qui a quitté sa Terre natale pour se rendre sur Phénaster, une planète de la galaxie, située à des années-lumière de la sienne. Il s'y accouple avec Manthaït, la servante de Thaït, dont le physique n'est pas si divergent de celui des Terriennes. Encore que le fruit de leur union permette d'en douter...
La fin justifie les moyens. Les moyens sont ceux de la chirurgie esthétique. Les patients d'Archibald Braunenzunge se sont tous fait sculpter le corps au bistouri dans sa clinique de la Riviera lémanique. Ils l'ont fait sous les auspices du Dieu Fric et de la Déesse Apparence. Il les réunit un soir, dans sa villa, pour des agapes, entre deux opérations boursières ou esthétiques.
La fin, que leur annonce Archibald, n'est pas du tout celle à laquelle peuvent s'attendre ses deux cents invités, triés sur le billard. Ce n'est pas pour rien qu'il les a caressés dans le sens de la ride depuis vingt ans en ponctionnant [leur] graisse comme [leur] fric. C'est un projet fou qu'il leur révèle et qui coupe le souffle à leurs bouches boudinées et à leurs poitrines siliconées...
Olivier May ne traite pas de ces sujets que sont l'extrémisme, la mort, la procréation, la chirurgie esthétique, en mettant sa langue dans sa poche. La fiction lui permet peut-être une plus grande liberté de parole que dans un essai, parce qu'elle la donne justement à différents personnages et que leurs différents points de vue, en mal comme en bien, peuvent vraiment s'exprimer.
Francis Richard
Djihad Jane et autres nouvelles, Olivier May, 160 pages Éditions Encre Fraîche