Anne-Marielle Wilwerth est une poétesse du silence. Ses textes sont courts (trois ou quatre vers, pas davantage) mais denses car elle estime sans doute qu’il faut dire l’essentiel et puis se taire. « Quand on a entendu du Mozart, le silence qui suit est encore du Mozart » disait Sacha Guitry. Cette sentence pourrait s’appliquer aux textes du recueil d’Anne-Marielle, « L’île tutoyée » (Editions La Bruyère, Paris). Par petites touches brèves et incisives, elle s’inspire d’un paysage maritime (et qui est même encerclé par la mer, puisqu’il s’agit d’une île, autrement dit d’un lieu isolé dont on ne peut ni ne veut s’échapper) pour parler de ses sentiments intérieurs et de son moi profond. Les paysages ne sont pas simples descriptions, mais prétexte au cheminement intérieur.
J’ai le temps
J’attendrai
que la mer me transmette
ses secrets de sel
et que s’installe en moi
la sagesse insulaire
L’écrivain n’est jamais loin, qui, en surprenant la conversation du gardien et de son phare, apprend à « éclairer de l’intérieur l’ancre des mots » Ancre des bateaux amarrés dans la baie ou encre du texte qui s’écrit ? Au lecteur de choisir et s’il aime les jeux de mots, il sera servi. Ainsi, on parle de « la première page du paysage », « des jardiniers de l’âme », « des îles frangées de doute » ou du « poème échoué au fond de ma barque ».
Les animaux sont présents, pourtant, dans cette île des grandes solitudes. On y croise des chats
qui ont dans leurs yeux
la grande marée
-celle qui pousse les pensées
Vers le dedans
On observe des mouettes, à la pointe de l’île, « là où les rochers parlent peu » ou bien des goélands. On n’est pas loin de l’albatros baudelairien, mais point de bateau où l’animal peut venir s’échouer ici. On préfère plutôt « traverser à gué le long poème de la mer ». Un bateau, la poétesse en apercevra un pourtant, qui rentre au port, et c’est alors un peu comme si elle se réconciliait avec l’autre versant d’elle-même.
La présence d’une sirène et les « grottes du savoir où se parfument les fées » font penser à Nerval et à son «Desdichado ». Pourtant, point de vrai tristesse, ici, mais plutôt une quête de soi-même et on cherche son identité « dans les balcons éphémères des vagues ».
L’autre recueil que j’ai lu («Le coupeur de phrases est passé » publié chez L’horizon vertical) est plus difficile à expliquer car plus hermétique et il faut le lire pour s’en imprégner. Les mots sont judicieusement choisis et s’entrecroisent pour former des bouquets étranges et fascinants.
Je cherche les éclaireurs de miroir
La trame le plus profonde est en nous de toute façon Nous qui jardinons partout sauf dans nos jardins Les images que je récolte dans mes mains effacent ma voix qui voudrait briller dans la haute mer Qui a fermé mon grenier à sel J’ai besoin de chaque parcelle d’amour
La poétesse est devant son miroir sans doute et elle cherche qui éclairera et donnera un sens à l’image qu’elle voit. Mais la trame la plus profonde (ce qui est caché) est en elle, jardinière particulière qui jardine en elle-même. L’image qu’elle récolte (le sens de ce verbe renvoie à l’idée de jardin), elle la tient dans ses mains (belle métaphore) Mais cette image n’est sans doute pas satisfaisante puisqu’elle efface sa voix qui aurait voulu briller au milieu de la mer. Le « grenier à sel » renvoie à la fois à l’idée de mer, qui vient d’être évoquée (et du sel aux larmes il n’y a jamais loin) mais aussi au jardin (le grenier étant l’endroit on en conserve les produits de la terre). La dernière phrase dit le besoin d’amour, dont on ne gaspille aucune parcelle car il est rare. C’est donc une femme seule qui se contemplait dans le miroir et qui se demandait qui « éclairerait » sa vie.
Ce serait sans doute aller trop loin que de voir dans ce poème une connotation érotique (encore que des mots comme « profond » « mains », « jardiner » et « grenier à sel » pourraient aller dans ce sens. Mais d’autres textes s’y prêtent davantage :
Déchirement aux hanches du cri Muraille entrouverte sur un glaive éraillé
Cependant, ce serait réducteur comme interprétation. L’essentiel n’est pas là, mais dans des phrases comme « j’ai envie de voir les étoiles au fond de la mer » qui disent bien l’aspiration à un au-delà poétique. On notera au passage le choc des images (étoiles de mer ou les étoiles du ciel qui se retrouvent au fond de la mer). Derrière la réalité, le poème crée donc un monde à lui, où la vraie vie peut enfin trouver un sens. « Je veux respirer encore demain quand la marée se lèvera ».