Sur le fond, je suis contre cet amendement. Tout d'abord, il faut signaler une dérive gênante : auparavant, les parlementaires, pour faire parler d'eux, essayaient d'attacher leur nom à une loi. Il leur faut maintenant, pour briller, amender la Constitution.
Jean-Luc Warsmann explique ainsi que son amendement en faveur des langues régionales "permet simplement de donner un ancrage constitutionnel aux langues régionales, afin que celles-ci puissent ensuite être sauvegardées par des lois."
Comme on voit mal ce qui, aujourd'hui, empêche le législateur de sauvegarder les langues régionales par des lois, on ne peut que s'interroger sur la finalité de cet amendement : accroître le financement public des écoles en breton, basque, corse ou occitan ? reconnaître la possibilité d'écrire aux administrations dans ces langues et dialectes ?
M. Warsmann en dit trop ou pas assez.
L'Académie française a veillé et a voté unanimement la déclaration suivante :
12 juin 2008 :
déclaration de l’Académie française
(Cette déclaration a été votée à l'unanimité par les membres de l'Académie française dans sa séance du 12 juin 2008).
Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : « La langue de la République est le français ».
Or, le 22 mai dernier, les députés ont voté un texte dont les conséquences portent atteinte à l’identité nationale. Ils ont souhaité que soit ajoutée dans la Constitution, à l’article 1er, dont la première phrase commence par les mots : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », une phrase terminale : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ».
Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. Qui en doute ? Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre Nation. Mais pourquoi cette apparition soudaine dans la Constitution ?
Le droit ne décrit pas, il engage. Surtout lorsqu’il s’agit du droit des droits, la Constitution.
Au surplus, il nous paraît que placer les langues régionales de France avant la langue de la République est un défi à la simple logique, un déni de la République, une confusion du principe constitutif de la Nation et de l’objet d'une politique.
Les conséquences du texte voté par l'Assemblée sont graves. Elles mettent en cause, notamment, l’accès égal de tous à l'Administration et à la Justice. L'Académie française, qui a reçu le mandat de veiller à la langue française dans son usage et son rayonnement, en appelle à la Représentation nationale. Elle demande le retrait de ce texte dont les excellentes intentions peuvent et doivent s'exprimer ailleurs, mais qui n'a pas sa place dans la Constitution.
Puis, le Sénat a rejeté l'amendement Warsmann, avec les voix des usual suspects (terminologie d'Eolas assez bien vue), donc Mélenchon par exemple, ou Charasse ( je cite : "Pourquoi ne pas y classer aussi les monuments historiques, ou même la gastronomie, voire la potée auvergnate ?"), mais aussi Robert Badinter.
Vote sénatorial approuvé par Pierre Assouline dans un joli billet, titré "si je t'oublie Villers Cotterêts".
Finalement, ça fait plaisir de voir qu'on peut encore réagir à ce qui défini(ssai)t notre République (lire aussi, au même rayon "il y a un socle républicain qu'on ne peut briser sans danger", la réaction de miltaires de haut rang au livre blanc sur la défense).
Ce qui fait aussi bien rigoler, ce sont certaines réactions au vote du Sénat :
L'Agence Bretagne Presse : "seul un pouvoir breton indépendant sera à même de faire de langue bretonne une langue officielle, normalisée et normativée, respectée et dotée de moyens pour vivre."
Alsace d'abord : "Paris humilie une fois de plus l’Alsace et les Alsaciens"
L'Académie de la langue basque proteste également.
Le Forum des peuples en lutte (contre l'oppresseur français) bouillonne.
A l'heure où la France craque de partout, pas étonnant de voir certains se réfugier dans les cultures locales. Il ne faut pas mépriser cette envie de trouver par eux-mêmes les voies de leur salut (comme le disent fort bien les bretons de l'ABP, qui affichent clairement leur idéal indépendantiste, dont je doute fort qu'il soit majoritaire sur place).
Je serais mal placé pour les blâmer de railler la France-qui-unie-nous-rend-plus-forts, moi qui ne cesse de taper contre l'Europe sur ce thème, s'ils estiment que manifestement ce n'est pas le cas. Je crois simplement qu'il incombe à la France, au delà de ce vote sénatorial et bienvenu, de se redonner les moyens de peser sur son propre destin.