La colère mobilise toujours plus que la peur...
Avant le scrutin, on savait d'avance que ces élections américaines seraient historiques d'une manière ou d'une autre.
Les États-Unis ont vécu cette nuit du 8 au 9 novembre 2016 à l'heure européenne. En effet, l'information de l'élection de Donald Trump comme 45 e Président des États-Unis a été donnée vers 8 heures 45, heure de Paris, soit peu avant 3 heures du matin à New York. Il fallait faire élire au moins 270 grands électeurs. Le décompte donnait alors 276 grands électeurs pour Donald Trump et 218 pour Hillary Clinton, qui venait de téléphoner à son adversaire pour reconnaître sa défaite et le féliciter.
Ce ne sera pas comme en l'an 2000, l'élection est claire et nette, sans appel. Dès lors que la Floride, la Caroline du Nord, et quelques autres États clefs venaient d'être gagnés par Donald Trump, l'élection était pliée. Hillary Clinton a échoué dans sa dernière tentative. À 69 ans, elle mérite bien de prendre un peu de repos.
Les derniers jours d'une campagne exceptionnellement difficile et longue laissaient pourtant une légère avance à Hillary Clinton. À tel point que Donald Trump se serait enfermé afin de ruminer sa défaite. Sa victoire est donc non seulement une surprise générale sur les deux dernières années, mais aussi sur les deux derniers jours.
Le pari de Donald Trump lorsqu'il avait annoncé sa candidature le 16 juin 2015 était complètement fou et jusqu'au bout, beaucoup de commentateurs refusaient de croire qu'il atteindrait son but. Il n'a jamais été élu, il n'a pas fait son service militaire, il n'a pas payé d'impôt sur le revenu pendant de longues années, il a insulté de nombreuses catégories de la population, il a parlé vulgairement, a montré son machisme, son sexisme, on lui reproche aussi d'être raciste, d'en vouloir aux Mexicains, aux musulmans ...et pourtant, il a été élu.
Bizarrement, je crains plus le peuple qui l'a élu que l'homme lui-même. Il n'est pas un idéologue mais un pragmatique. Toutes les horreurs qu'il a pu sortir avaient pour seul but de créer le buzz et de faire sa campagne. Il est avant tout un chef d'entreprise, un "businessman", quelqu'un qui va regarder chaque problème, le mettre à plat, négocier comme il l'a fait pour gagner de l'argent. C'est ce que dit André Bercoff, le 9 novembre 2016 sur LCI, qui serait le seul journaliste étranger à l'avoir interviewé pendant la campagne, en mars 2016. Serait-ce un nouveau Berlusconi ? Ou un Tapie ?
Tandis que ses électeurs, comme l'avait très maladroitement décrit Hillary Clinton en septembre 2016, les raisons de leur vote, leurs motivations, on peut s'en inquiéter, s'en effrayer, s'interroger pour l'avenir du monde.
L'image de David face au Goliath de l'etablishment est à contresens puisque le milliardaire, c'est lui ! C'est lui qui a fait pousser des buildings en plein cœur de l'Amérique capitaliste ! Et cependant, il était bien seul. Seul dans les primaires des Républicains qu'il a menées en tête pendant tout le processus, éliminant dès le début le favori, Jeb Bush, d'une autre dynastie. Personne n'y croyait. Et personne ne croyait qu'il pourrait réussir l'élection générale. Même George W. Bush Jr a refusé de voter pour lui et a déclaré avoir voté blanc.
Environ 45 millions de citoyens américains sur les 142 millions d'électeurs avaient voté bien avant l'Election Day, et l'on disait que ces votes devraient plutôt favoriser Hillary Clinton. De même, la "forte" participation dans certains États comme la Floride était analysée en faveur d'Hillary Clinton. Il n'en a rien été : la participation supplémentaire a profité avant tout à Donald Trump.
Véritable gueule de bois pour le clan Clinton. Décidément, le peuple américain n'a définitivement jamais aimé Hillary Clinton. Déjà en 2008, on la disait favorite et Barack Obama l'avait doublée. À aucun moment il n'y a eu de mouvement très fort en sa faveur.
En fait, pour résumer les choses, les deux candidats, Donald Trump et Hillary Clinton, ont dû subir à leur encontre un courant fort d'antipathie et de détestation (un peu ce que pourrait connaître la France en cas de nouveau duel entre Nicolas Sarkozy et François Hollande). Mais seulement Donald Trump pouvait bénéficier parallèlement d'un courant ascendant, pas Hillary Clinton qui n'a su convaincre que par la raison, que par défaut, et cela ne crée pas d'enthousiasme électoral, d'être une candidate par défaut.
La gueule de bois, l'Europe la connaît aussi ce matin du 9 novembre 2016, après la gueule de bois du Brexit le matin du 24 juin 2016 : Marine Le Pen l'a très bien perçu puisqu'elle a adressé ses plus vives félicitations avant même que Donald Trump n'eût gagné avec certitude (quelques minutes auparavant). Marine Le Pen, qui se targue d'être ni de gauche ni de droite, a pourtant choisi son camp en soutenant Donald Trump le conservateur pur et dur, l'ultralibéral milliardaire qui a pourtant fait de nombreuses pertes dans ses affaires.
Il faut reconnaître que l'élection d'Hillary Clinton aurait été aussi surprenante que celle de Donald Trump, d'un point de vue historique. Certes, il y a le côté "première femme Présidente" mais j'espère que les électeurs ne se sont pas déterminés sur le seul sexe des candidats (au même titre que lorsque Ségolène Royal, à l'époque compagne de François Hollande, avait été candidate en France), et historique aussi par le côté people et dynastique (femme de Bill Clinton). Mais cela aurait été surtout historique que les Démocrates fassent trois mandats de suite. Cela ne s'est pas passé depuis Franklin Delano Roosevelt, au contraire des Républicains avec Ronald Reagan et George H. W. Bush Sr entre 1981 et 1993. Certes, la Présidence de Barack Obama reste encore assez populaire aux États-Unis (les sondages montrent régulièrement qu'environ un Américain sur deux est satisfait de son action à la tête du pays).
Ces élections américaines du 8 novembre 2016 furent donc une grande victoire des Républicains puisque non seulement ils retrouvent la Maison-Blanche, mais ils restent majoritaires au Congrès, tant à la Chambre des représentants qu'au Sénat où les Démocrates pouvaient imaginer redevenir majoritaires.
Le discours que Donald Trump a prononcé à 2 heures 50 du matin dans son quartier général de Manhattan à New York n'avait rien d'intellectuel, rien d'historique, rien d'émouvant non plus, mais également rien d'effrayant. Au contraire, il a été consensuel et rassembleur. Il a d'abord rendu hommage à Hillary Clinton parce qu'elle a passé beaucoup de temps de son existence au service de son pays. Il a surtout dit vouloir que dans quatre ans, peut-être dans huit ans (il aurait 78 ans !), les Américains soient fiers de leur Président et de leur pays. Peut-être que Donald Trump surprendra le monde entier comme il l'a surpris depuis un an. Au contraire, peut-être "se rangera-t-il", deviendra-t-il comme Alexis Tsiras en Grèce.
Le 5 novembre 2016 sur le site Atlantico, le politologue Yves Roucaute a replacé les électeurs de Donald Trump dans un mouvement beaucoup plus large et international : " Aux États-Unis, ces catégories ne votent pas, ou votent pour des candidats anti-système. C'est la force de Donald Trump et de certains mouvements en Islande, en Autriche, en Espagne, en Italie, un peu partout dans les démocraties faibles où la bureaucratie et certaines élites ont fait main basse sur la politique. ".
Et de faire remarquer : " Les seuls gouvernements qui s'en sortent sont ceux qui écoutent leur population et la suivent. C'est ce que le gouvernement hongrois a fait, et c'est que Theresa May essaye de faire au Royaume-Uni. ".
D'où cette réflexion : " Il n'y a pas d'autre solution : dans les démocraties libérales, et c'est leur force et leur faiblesse, les élites politiques doivent tenir compte de la volonté populaire. Sinon c'est la crise. Le grand danger, en France, est de continuer une politique coupée de la population. Un an après la présidentielle, nous connaîtrions de vastes mouvements sociaux. Le risque est de voir se nouer des alliances pour sacrifier le bouc émissaire politique, c'est-à-dire le gouvernement. Une grave crise de régime pourrait alors se produire, quelle que soit l'identité de celui ou celle qui est élu. ".
Le Brexit et l'élection de Donald Trump montrent que dans un pays en crise économique, la colère contre les élites mobilise beaucoup mieux que la peur d'un changement radical. C'est à cela que devront réfléchir les candidats à l'élection présidentielle française de 2017, notamment dans le cas d'un second tour (loin d'être encore acquis) entre Alain Juppé et Marine Le Pen...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (09 novembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Donald Trump, 45e Président des États-Unis.
La doxa contre la vérité.
Peuple et populismes.
Issue incertaine du match Hillary vs Donald.
Donald Trump, candidat en 2016.
Match Hillary vs Donald : 1 partout.
Hillary Clinton en 2016.
Hillary Clinton en 2008.
Donald Trump et Fidel Castro ?
La trumpisation de la vie politique américaine.
Mode d'emploi des élections présidentielles américaines.
Idées reçues sur les élections américaines.
Barack Obama.
Ronald Reagan.
Gerald Ford.
Jimmy Carter.
John Kennedy.
Al Gore.
Sarah Palin.
John MacCain.
Mario Cuomo.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161109-trump-us2016af.html