En 2005, la Constitution s’est vue augmentée de la Charte de l’environnement et du principe de précaution. Ces deux préoccupations n’auraient rien perdu de leur importance si elles avaient fait l’objet de textes de loi ordinaire. On projette maintenant d’inscrire dans la Constitution la notion d’équilibre budgétaire. Si réduire le déficit de public est une nécessité, on ne peut nier qu’en hissant l’équilibre budgétaire au sommet de notre législation, l’Etat se privera d’un levier d’action fort sur l’économie.
Enfin, il est depuis quelques jours question d’un amendement visant à la reconnaissance des langues régionales. Ces langues connaissent depuis plusieurs années un regain d’intérêt sans précédent, il ne vient à l’idée de personne de les éradiquer. Au contraire, elles font l’objet d’un enseignement scolaire et supérieur croissant. Parfois, d’ailleurs, ce phénomène produit des effets comiques involontaires ; je me rappelle ainsi une conversation avec un agriculteur d’un village proche de Morlaix qui se plaignait avec une pointe d’ironie que, depuis son installation récente, un universitaire de Rennes prétendait réapprendre le breton aux habitants sous prétexte que celui qu’il parlait quotidiennement depuis leur enfance n’était pas pur ! On ne voit donc poindre aucune menace à l’horizon.
Pourquoi, dès lors, vouloir faire entrer les langues régionales dans la Constitution ?
En effet, d’un point de vue juridique, la place à laquelle on situe un texte revêt souvent plus d’importance que le texte lui-même et, derrière une innocence apparente, se cache parfois une arrière-pensée inquiétante. Ainsi en a-t-il été de l’article L 227-24 du Nouveau Code pénal, encore appelé « amendement Jolibois » qui, inséré dans cette section spécifique du Code, est devenu, contre les intentions du Législateur, l’arme principale des groupuscules pudibonds contre les artistes et les organisateurs d’exposition d’œuvres érotique au nom de la « protection des mineur » (L’Origine du monde fut, on s’en souvient, la première victime d’une tentative de censure, heureusement avortée, sur les fondements de l’article en question.)
La Charte donne en effet des droits particuliers aux locuteurs qui s’opposent au principe d’égalité, notamment le droit imprescriptible de parler une langue régionale dans la sphère publique. Les états signataires doivent s’engager, au moment de la ratification, à préciser quelles seront les langues minoritaires concernées. Avec 75 langues et dialectes recensés en France, on imagine les débats sans fin auxquels donnerait lieu cet exercice… Lesquels retenir ? Par ailleurs, chaque signataire a l’obligation de choisir 35 paragraphes ou alinéas de la partie III de la Charte, qui traite des mesures en faveur de l’emploi des langues régionales, dont au moins 3 choisis dans chacun des articles 8 et 12. Ceux-ci concernent l’enseignement et la justice. A titre d’exemple, à la demande d’une des parties (et non de toutes), ils devraient prévoir que les juridictions mènent les procédures en langue minoritaire.
Dans ce domaine comme dans d’autres, il n’est jamais inutile d’observer la situation de nos voisins européens. En Italie, pays qui n’a pas, pour des raisons historiques évidentes, été influencé par le jacobinisme, les langues régionales font, bien plus qu’en France, partie du quotidien. L’article 6 de la Constitution dispose simplement : « La République protège par des normes particulières les minorités linguistiques. » C’est à la loi que revient donc la charge de réglementer la question. Quatre textes, mis en place en 1991, 1999 et 2001, sont aujourd’hui appliqués. Dans les régions autonomes (Val-d’Aoste, Frioul-Vénétie-Julienne et Trentin-Haut-Adige), il en résulte une assez belle confusion : certaines langues régionales sont admises dans les tribunaux (mais pas dans les cours d’appel), les textes de l’administration centrale restent en italien, cependant les municipalités peuvent aussi utiliser les langues locales. Enfin, dans certaines municipalités, l’enseignement primaire doit être garanti en italien et en langue régionale…
L’Espagne, de son côté, reconnait ces langues dans sa Constitution de 1978 dont l’article 3 dispose :
« 1) Le castillan est la langue espagnole officielle de l’État. Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l’utiliser.2) Les autres langues espagnoles seront également officielles dans les différentes Communautés autonomes en accord avec leurs Statuts.3) La richesse des diverses modalités linguistiques de l’Espagne est un patrimoine culturel qui doit être l’objet d’une protection et d’un respect particuliers. »
Cette reconnaissance a produit quelques effets pervers, comme l’affaiblissement du castillan dans certaines régions et son passage, dans l’enseignement, au même rang… que les langues étrangères.
On le voit, partir d’une intention louable – le respect d’un patrimoine régional et de ceux qui
Ce matin, le Sénat a adopté un nouvel amendement visant à inscrire dans la constitution le principe de « la liberté, du pluralisme et de l’indépendance des média ». La Garde des Sceaux a estimé que cet amendement n’était pas utile : « la liberté, le pluralisme des média relèvent de la loi mais il n’est pas besoin de le préciser dans la Constitution. » Voilà une nouvelle occasion de nous interroger : les langues régionales, pour importantes qu’elles soient, devraient-elles, dans la hiérarchie des valeurs de la République, se situer au-dessus de la liberté de la presse ?
Illustrations : Honoré Daumier, La République - Pieter Bruegel, La Tour de Babel - Enluminure - Dictionnaire de patois normand, 1862 (BM Lisieux)