Somni médium

Par Pandora


Encore une nuit presque blanche à m'agiter dans un demi-sommeil perturbé par une visite dont je ne garde qu'un vague souvenir. Je me rappelle simplement m'être promenée sur un beau tapis persan, les coussinets rosés de mes pattes effleurant délicatement la douceur des brins de laine, une promenade agréable mais fatigante. J'ai vraiment hâte que cette commande pour Miss Paddington, charmante Lady de 82 ans aux cheveux lilas, se termine... mais au rythme où j'avance cela augure encore quelques heures de dette de sommeil. Il faut bien payer les factures, et je dois absolument faire quelques réparations sur Caramel, ma vieille voiture. Je regarde sur la table de nuit et me lève rassurée, il manque le bleu dans son emplacement, le numéro six.... Sur la feuille de transcription, un papier recyclé un peu jauni mais on peut travailler avec les mort et se préoccuper de son avenir, je rajoute de mon écriture malhabile du matin le F de cette nuit aux lettres déjà inscrites...
Je suis médium et les esprits viennent me visiter dans mon sommeil puisqu'ils me font une vraie peur bleue et que je défaille si je les vois en journée. Je rentre dans leur corps spectral dans mes rêves en noir et blanc pendant qu'ils occupent le mien pour prendre un feutre (ou plusieurs) et délivrer leur message : somnambulisme spirito-guidé. Ils communiquent avec moi par l'intermédiaire d'une pochette de gros crayons de couleur aux capuchons dorés, rangés dans des emplacements doublement numérotés de 1 à 13 et de 14 à 26. Numéros correspondants aux lettres de l'alphabet qui vont ainsi former les mots du message en réponse à la personne qui me paye. Ca a l'air compliqué mais c'est tout simple (même les morts aux neurones pour le moins défraichis y arrivent, alors c'est pour dire), le noir dans son emplacement 1 correspond au A et s'il y a juste le capuchon d'enlevé, c'est le 14 donc le N.... vous commencez à comprendre ? J'utilise en général plusieurs pochettes de crayons de couleurs pour obtenir plusieurs lettres et ne pas y passer trop de nuits, selon l'intelligence de l'esprit mais aussi selon l'intensité du violet de mes cernes, elle-même proportionnelle à mon état de fatigue. Disons que je fonctionne entre 10 et 20 pochettes ce qui fait 10 à 20 lettres et donc quelques mots par nuit que je couche sur mon papier jauni, un message de l'au-delà pour ceux qui ont les moyens de se payer mes onéreux services, mais vous aurez noté combien je donne de ma personne. Vous vous demandez peut-être pourquoi l'esprit n'écrit pas directement sur le papier tant qu'il est dans mon corps, mais cette « occupation » provoque des transformations physiques qui me rendent incapables d'écrire lisiblement si j'en juge les feuilles noircies par des hiéroglyphes incompréhensibles que je trouvais au matin sur le bois acajou de ma table de nuit. Je passe d'ailleurs sur les autres découvertes que je peux faire à mon réveil, les esprits temporairement ré-incarnés en moi devenant parfois particulièrement facétieux et agités, ils ont ainsi tellement terrifié mon chat que ces poils sont devenus complètement blancs à mon premier contrat (il dort désormais chez ma voisine quand je me livre à mes activités de somni-médium).
Mais là, une lettre à la fois me semblait bien suffisante pour la faible intelligence du caniche abricot de la vieille Lady, et le message qui se profile me laisse craindre le pire sur ses capacités d'élaborer un discours un minimum construit. Avec le F bleu de cette nuit, le message tient pour le moment en un mot : OUAF. C'est la dernière fois qu'on me prend à essayer de communiquer avec l'esprit d'un animal aussi stupide, même pour un aussi bon paquet de billets verts.
   [Texte écrit pour les défis du samedis]