Novembre déroule ses bourrasques de pluie poussées par un vent du nord très froid que Météo France s'obstine à nous faire venir du nord-ouest. Un vent froid vient du nord, point. Chez nous c'est la bise, si le ciel est noir, c'est la bise noire, s'il pleut en plus c'est le mois de novembre.
Commencé par les saints puis suivis des morts, il continue par l'armistice de la grande guerre le 11 et par la mort du général de Gaulle le 22. Non, Brassens a eu le bon goût de mourir en octobre, j'ai vérifié. S'il avait été sûr d'éviter novembre, nul doute qu'il en aurait fait un addendum à Supplique.
On aurait pu penser que ce mois propice à la déprime nous débarrasserait du grand cornac, de l'éléphant et de sa trompe. Il n'en sera rien hélas.
On peut encore espérer qu'il nous soulagera du petit Naboléon, l'ex-président à talonnette, avant la fin du mois. Hier, sur la base des sondages, j'aurais dit oui, ce matin je n'en suis plus très sûr. J'ai comme un coup de blues. Si ça se trouve, il va se déclarer contre l'élite, pour la défense des petits fonctionnaires et le revoilou à la fin du mois, comme un sou neuf, prêt pour deux ou trois mandats de plus avec Hollande quasi seul pour lui faire barrage de son corps. La poisse !
Pour nous consoler, rien de tel qu'un plat chaud. Je vous propose de revenir à une recette sûre, l'omelette de novembre aux champignons selon Vialatte :
Pour faire l'omelette aux champignons, achetez une grande maison rustique exposée aux vents de la tempête, rassemblez les chasseurs dans la cuisine obscure, immense, dallée et tournée vers le nord, sur deux bancs de chêne autour d'une table pesante (on en trouve chez les antiquaires entre mille et quinze cents francs). Éclairez avec une chandelle afin de dramatiser les ombres et posez sur la table une bouteille de vin noir. Le premier chasseur est barbu, le deuxième édenté, le troisième longiforme, le quatrième a des sourcils terribles, le cinquième sait chanter O Sole mio, le sixième a l'air assez idiot mais il n'en est pas moins vorace ; le septième ressemble à Fernandel, le huitième à une tête de mule, le neuvième au troisième, le dixième au premier, et le onzième à tous les autres ; les autres à des figurants. Allumez un grand feu de sarments, mélangez dans la poêle la trompette de la mort, l'oreille d'ours et la tête-de-nègre et versez dessus des œufs battus dans un saladier à fleurettes. Servez très chaud tant que l'omelette bave encore. Faites circuler ensuite de grands bols de faïence, des aiguières de vermeil ou des cuvettes d'émail dans lesquels vous aurez dissous à l'eau bouillante deux grosses cuillerées de savon noir acidulées d'un jus de citron, pour permettre aux chasseurs de nettoyer leur barbe. On peut aussi se servir d'écuelles en plastique bleu. Tremper la barbe par trois fois, gratter le jaune d'œuf coagulé, tordre et rincer dans une eau claire, éponger soigneusement avec un chiffon sec.
Desservez, après, d'un seul coup. D'un revers de bras. Jetez sur la table les perdreaux, les cerfs, les faisans, la bécasse, les sangliers, le hérisson. Réservez l'ennemi de la famille. Ajoutez du lard et du poivre. Deux truffes, sel, thym, laurier, trois bouteilles d'armagnac. Hachez menu. Cuisez au four dans des pots de terre. Mettez ce qui reste en saucisson. Profitez du temps de la cuisson pour enterrer rapidement dans le jardin, sous le lilas, l'ennemi de la famille. Pendez ensuite les saucissons aux poutres et mettez les pots sur l'armoire en plaçant les plus grands derrière, ils seront plus faciles à compter. Si par hasard vous avez oublié de réserver l'ennemi de la famille en jetant le gibier sur la table, ne recommencez pas à zéro, mais faites pour lui une petite prière quand vous mangerez les saucissons.
N'oubliez surtout pas que beaucoup de champignons sont vénéneux et que vous risquez d'empoisonner un invité par imprudence. Essayez-les sur un cousin pauvre avant de servir. Il y a toujours dans les immenses maisons de province un cousin pauvre qui est resté sur votre insistance hypocrite, à la suite d'un banquet de baptême, parce qu'il ne sait jamais dire non, et qui loge au grenier dans la chambre de bonne. Il aime rendre de petits services. Il se fera une vraie joie de goûter aux champignons.
Tels sont les plaisirs de novembre.
Almanach des quatre saisons, p.180-181