Il y a plus d’un siècle, un masque mortuaire représentait une jeune femme, souriante, morte noyée dans la Seine. Des poètes, des romanciers, des peintres, des photographes ont travaillé son mystère : qui était-elle ? comment était-elle morte ? quel nom inscrire sur sa tombe (si elle en avait une) ? On l’a désignée comme l’Inconnue de la Seine. La Fille inconnue des frères Dardenne est, en quelque sorte, l’Inconnue de la Meuse.
C’est, en effet sur la rive de la Meuse qu’on découvre le corps. Des images de vidéo-surveillance montrent la victime anonyme sonnant en vain au cabinet médical de Jenny Davin. La jeune médecin n’a pas ouvert. Sa responsabilité va la conduire à chercher l’identité de la morte pour qu’elle ait un nom sur une tombe, pour que sa famille, peut-être un jour, puisse la retrouver. Cet évènement va changer le destin du docteur Davin : elle décide de prendre la succession du médecin qu’elle remplaçait provisoirement et de s’installer dans le quartier. Et, sans relâche, mener sa quête, son enquête, en même temps qu’elle soigne, attentive aux autres qui viennent la consulter. Banalité du travail d’un médecin généraliste, dira-t-on peut-être, mais profondément incarné par Adèle Haenel, et servi par des plans suffisamment longs pour qu’on sente le mouvement de la pensée, de l’angoisse, du remords dans la tête des protagonistes.
Extrait du film, ce bout de dialogue en dit long sur la technique même des cinéastes : « Quand j’ai mis mes doigts, comme ça, sur tes tempes, j’ai senti ton coeur qui battait deux fois plus vite que juste avant, quand j’avais pris ton pouls. Je pense que c’est parce que tu venais de voir l’image de la fille… » La scène à laquelle fait référence ce texte a été filmée en plan fixe, nous permettant de mesurer l’accélération imperceptible du battement du coeur. Ce que les plans habituels du cinéma actuel ne donnent jamais à voir.
Et le film va nous montrer des personnages qui, tous, auront une part de responsabilité dans la mort de l’inconnue, mais Jenny Davin ne les juge pas et nous invite par conséquent à ne pas les juger. Seul compte le fait de retrouver le nom de l’inconnue, et de lui apporter, morte, le soin qu’elle lui a refusé, vivante.