Poursuivons, cher lecteur, cette série à épisodes rocambolesques. Après des débuts chaotiques, la rencontre avec Raoul, blogueur et éditeur bénévole, s’est révélée très favorable. Intéressé par mon sujet, il m’a proposé d’écrire ce fameux livre qui m’occupait le cerveau depuis déjà quelques temps. Il pensait même à une date de publication. Très alléchée, j’ai écrit un bouquin en trois mois, selon ses instructions, pensant que l’affaire était dans le sac. Erreur fatale !
Début janvier, Raoul me joint pour convenir d’un rendez-vous. Timidement, je m’efforce de recueillir ses impressions. Je dois me contenter d’un : « Y’ a du boulot ! ».
Le jour J, je me pointe. Ils sont deux. Raoul et une femme, Angèle, qui passe l’essentiel de cette rencontre l’oreille vissée à son téléphone. Laissant de côté le vif du sujet, on parle de tout et de rien. Ils évoquent entre eux la jaquette du livre et la mise en page. Tout cela est agréable, indéniablement. Cependant, le verdict se fait attendre et je piaffe.
Enfin, Raoul se décide à sortir mon manuscrit.
« Ce serait bien d’améliorer certaines tournures un peu lourdes. Tâchez de ranger tous les arguments négatifs en début d’ouvrage pour le confort du lecteur. Vous développez beaucoup de notions très profondes. Revoyez le texte en utilisant mes annotations. Envoyez-moi une version révisée pour la fin du mois ». Je m’enquiers : « Avez-vous lu ? ». Réponse : « Seulement la première partie ».
Je reprends le bébé sans état d’âme, persuadée de toucher au but. Je relis, corrige, élague et retourne le tout à Raoul. Et j’attends, j’attends! Au bout de 15 jours, étonnée, je l’appelle.
Il répond, il est dans un train, et je le sens très embarrassé :
« - Angèle ne vous a pas contactée ?
- Non.
- Ah bon ! En fait j’ai changé de boulot et ai accepté une mission à Strasbourg où je vais résider quelques mois. Je ne suis plus en mesure de m’occuper d’édition. Angèle suit désormais votre dossier. Il n’y a aucun souci, elle se manifestera très vite auprès de vous. » Fin de l’entretien.
Une étrange émotion s’empare de moi. Cette histoire à laquelle j’ai cru sans réserve se déliterait-t-elle ? Mon pressentiment se confirme avec la réception d’un message d’Angèle bredouillant qu’après lecture, le livre n’est pas éditable. « Êtes-vous disponible pour me voir ? ». Je suis totalement déstabilisée. Rien ne m’a préparée dans l’attitude d’un Raoul à cette éventualité. Je réalise que, derrière ses formules sibyllines, la moindre signature d’un contrat n’a jamais été envisagée. Au fond, s’est-il même donné la peine de parcourir le produit de mon labeur ? Je crains que non. « Tu t’es fait mener en bateau », résume mon mari. Malheureusement, il a probablement raison.
Je me prépare le cœur battant à rencontrer Angèle et je n’en mène pas large. Je ne suis pas dans une position gagnante-gagnante. Elle est réellement pro. Elle est précise. Elle a lu, effectivement. Elle ne se cache pas derrière les mots. Sa conclusion est sans appel, mon livre est recalé :
« Le texte ne correspond pas au plan que j’ai lu au préalable. Ce n’est pas la franche rigolade que j’ai imaginée. Le fond est sérieux sous une forme légère. Mais on ne comprend pas où vous voulez en venir. Aucun fil directeur ne se dégage, l’ensemble est confus. J’ai apprécié certaines parties qui m’ont fait rire ou qui m’ont émue. On sent un potentiel : vous aimez écrire. Mais il faut tout remanier. Je n’ai pas le temps de m’y coller. Aurez-vous cette énergie ? »
Elle ajoute également : « Pourquoi ne pas approfondir cette veine psychologique que l’on devine, ça pourrait fonctionner ? Utilisez des phrases courtes. N’abusez pas des formules sans verbe. Vous n’êtes pas obligée de diviser votre livre en parties, vous pouvez opter pour une suite de chapitres et emmener pas-à-pas votre lecteur là où vous souhaitez qu’il aille. »
Nous bavardons une heure et demie. Ce rendez-vous s’achève sur une sensation très vague, sans aucune décision : ni une fin de non-recevoir, ni un non massif. Je subodore qu’elle ne se défoncera pas pour moi.
Cependant, je me persuade que ma seule chance est de la convaincre de ma réelle efficacité. Je réécris entièrement l’introduction, j’affine la première partie et y insère un avant-propos très personnel sur les raisons qui m’incitent à me pencher sur ce sujet si particulier qu’est l’argent. Après m’être assurée par précaution que « ça lui botte », je lui adresse cette nouvelle mouture. Et comme de bien entendu, je poireaute.
Après quelques relances dans le genre « Je m’excuse de vous demander pardon, mais.. », elle consent à me répondre : « Écoutez (silence), il y a des répétitions (soupir), le style ne va pas (soupir), j’ai l’habitude de traiter des manuscrits aboutis. Heu… j’ai beaucoup de problèmes personnels et n’ai pas le temps de m’occuper de vous. Je préfère ne pas vous voir car vous êtes trop éloquente. Je réfléchis et je vous téléphone. »
Cher lecteur, que crois-tu qu’il s’est passé ensuite ? Rien. Aucune nouvelle.
L’apprenti-auteur s’est brûlé les ailes et de mon projet, il ne reste que des cendres. Mon moral me quitte. Mon énergie s’effiloche.
"Pour qui je me prends? ou les tribulations d'un apprenti auteur"
Hélène de Montaigu