Qui ? Pauline Dubuisson, une fille dont je ne connaissais pas du tout l’histoire, mais qui a visiblement été jugée coupable de tous les maux imaginables lors de son procès devant les Assises de Paris, en 1953. Il faut dire que trois ans plus tôt, elle a vidé son chargeur à bout portant sur Félix Bailly, son ex-fiancé. Le problème est que lors de ce procès qui déclencha les passions, la pauvre fille est traînée dans la boue comme pas possible et livrée à la vindicte populaire. Elle ressort donc non seulement coupable de crime passionnel, mais également coupable d’être la « pute à boches » qui a couché avec un médecin Allemand durant l’occupation (ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être tondue, violée et laissée pour morte à l’âge de dix-sept ans à la Libération) et coupable de la mort de son père (héros de Verdun qui a eu la mauvaise idée de se suicider juste après son arrestation). Du coup, Pauline devient la seule femme contre laquelle le Ministère public requiert la peine de mort pour un crime passionnel et, même si elle est finalement graciée après neuf ans de prison, elle ne sera jamais véritablement libre. Sa vie sera notamment immortalisée par le cinéaste Henri-Georges Clouzot, dans un film à scandale intitulé « La Vérité », avec Brigitte Bardot dans le rôle de Pauline. Malgré sa fuite au Maroc sous un autre nom, ce film et son passé viendront inévitablement la rattraper lorsque Jean la demande en mariage à Essaouira… car comment ne pas raconter la vérité à celui qui lui demande de partager le restant de sa vie ? C’est la longue confession par écrit à son futur mari que Jean-Luc Seigle a décidé de réécrire sous forme de roman.
« La perpétuité est un châtiment alors que la mort ne l’est pas. »
L’auteur se glisse donc dans la peau de son héroïne afin de dresser le portrait touchant de la femme qui se cache derrière les faits, derrière l’horreur et derrière ce crime passionnel condamné par tout le monde. Jean-Luc Seigle lui permet d’exprimer la vérité qu’elle avait choisie de taire lors de son procès, offrant non seulement des circonstances atténuantes à ce crime non prémédité, mais dévoilant surtout le portrait d’une fille courageuse et intelligente, victime des hommes en général et d’un père en particulier.
« Ces hommes m’ont plaquée sur la table et m’ont écarté les jambes. Longtemps après je me suis demandé ce qui excitait assez ces hommes pour qu’ils réussissent à avoir des érections si puissantes dans une situation et un cadre qui dégoûteraient tout être normalement constitué.
Ou alors les hommes pouvaient-ils, tous, à un moment donné ou à un autre, être agités par la pire idée de la sauvagerie et du crime sur les femmes. »
Pauline Dubuisson aurait difficilement pu trouver meilleur avocat que Jean-Luc Seigle pour prouver qu’elle n’est pas le monstre et la pute dont la presse parle. À travers ce récit à la première personne tout simplement bouleversant, il nous éclaire sur le parcours tragique de son héroïne. Son style d’une justesse et d’une poésie incroyable permet non seulement de décrire une horreur parfois indicible avec grande dignité, mais s’installe immédiatement au diapason de ce récit d’une incroyable sensibilité qui invite à éprouver de l’empathie envers cette femme aux rêves et à la vie brisés. Si l’auteur fait la lumière sur des faits particulièrement sombres, sans jamais minimiser la culpabilité de Pauline, c’est souvent dans les silences et les non-dits qu’il dévoile les dessous de cette affaire et les sentiments de cette pauvre Pauline… Du grand art !
« Si l’on cache un pan de sa vie, c’est nécessairement parce qu’on le trouve inacceptable pour soi-même. »
Lisez Jean-Luc Seigle !