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L'agonie de l'école
Carole BARJON - Ed. Robert Laffont - 2016
Carole Barjon, journaliste au Nouvel Observateur, pose la question de savoir comment l’école française, considérée autrefois comme l’une des meilleures du monde, a pu en arriver à un tel échec. Carole Barjon nous redonne les chiffres désolants de cette faillite de l’école, dont le plus significatif est celui des 20% d’élèves (40 % pour Lire-Ecrire en tenant compte des "acquis fragiles" donc non acquis) qui arrivent au collège sans savoir lire (la journaliste, dans l’ensemble de son livre, centre ses analyses sur le français). Ce constat d’échec semble être aujourd’hui admis par tous.
Pour répondre à la question posée, Carole Barjon interroge les acteurs du système, ceux qui ont participé à sa chute et quelques-uns qui ont essayé de l’enrayer. Son ouvrage s’appuie sur les réponses fournies par huit ministres et une cinquantaine de pédagogues et intellectuels. De fait, ce livre montre plutôt les non réponses des responsables de l’échec. Plus personne ne conteste l’échec de la vaste entreprise de déconstruction de l’école, engagée il y a quarante ans. En revanche, personne ne veut en assumer la responsabilité.
A partir des portraits qui nous sont donnés des pédagogues, didacticiens, universitaires, sociologues ou responsables administratifs, nous pourrions tracer un profil plus ou moins commun de l’évolution de tous les assassins de l’école. Dans un premier temps, méprisant les traditions pédagogiques qui avaient fait l’école française, ils voulurent faire du neuf. Dans un deuxième temps, ils n’ont pas vu venir la catastrophe : les résultats en chute des élèves ne les interpellaient pas et ceux qui s’alarmaient, étaient considérés comme d’affreux réactionnaires. Dans un troisième temps, ils reconnaissent aujourd’hui l’échec de l’école, mais très majoritairement, ils bottent en touche, ils n’y sont pour rien : «Ce n’est pas la théorie qui est en cause, c’est son application » (p 215). Certains affirment qu’ils n’ont pas été compris, d’autres qu’ils n’ont pas eu de moyens suffisants. S’il fallait résumer d’un mot, ce qui a manqué à ces personnages, au cours de ces quarante ans, ce serait l’humilité, celle qui nous fait accepter les leçons du passé, les avertissements de ceux d’un autre bord pédagogique que le nôtre, l’attention aux simples résultats des élèves et, toute honte bue, la reconnaissance de nos fautes. Prenons des exemples, largement développés par Carole Barjon.
Alain Boissinot et Alain Viala, agrégés de lettres, disciples de Pierre Bourdieu, incontournables dans l’élaboration des programmes, se chargent de bouter la littérature hors du collège, puisqu’il faut évacuer la « violence symbolique » qu’elle constituerait pour les élèves socialement défavorisés. Le jargon techniciste introduit dans l’enseignement du français, comme : « énoncés ancrés dans des situations d’énonciation» plutôt que de dire tout simplement : « une conversation », permet de remettre tout le monde à égalité, puisque personne n’y comprend rien. Interrogés aujourd’hui, Alain Viala accuse l’institution de n’avoir pas su « adapter » ses « programmes ambitieux » et Alain Boissinot, lui, ne regrette rien et concède simplement qu’«on n’a probablement pas suffisamment pris la mesure » du désastre en français. Ce « on » laisse rêveur.» Il est à remarquer que nombreux sont les auteurs du désastre qui s’exonèrent de toute participation à la faillite de l’école derrière un « on ». Où se cachent donc les assassins de l’école ?
Ils se trouvent à tous les étages du système Education nationale. Ne considérons, dans les analyses de Carole Barjon, que la question des méthodes de lecture, puisque la mort scolaire de nombreux élèves se programme au moment de l’apprentissage de la lecture. Arrêtons-nous sur trois personnages, largement responsables des 20% d’élèves en échec, indiqués ci-dessus.
Philippe Meirieu, le pape de la pédagogie, nie son implication dans le maintien de méthodes globales d’apprentissage de la lecture. C’est la faute aux didacticiens, accuse-t-il, lui ne s’occupe que de pédagogie. Il oublie par exemple sa signature au bas d’une pétition contre le ministre Gilles de Robien, lorsque celui-ci voulut promouvoir la méthode syllabique. Carole Barjon note : « Philippe Meirieu a souvent la mémoire qui flanche. »
François Dubet, sociologue très écouté par tous les ministres, de droite comme de gauche, explique que, s’occupant de la question des inégalités, il ne s’intéressait pas vraiment aux méthodes d’apprentissage proprement dites. Et lorsque Carole Barjon l’interroge sur l’augmentation des inégalités dans l’école française, elle a pour toute réponse un laconique « C’est une énigme… »
Roland Goigoux, professeur à l’IUFM de Clermont-Ferrand, est sans doute le pape actuel des didacticiens de l’apprentissage de la lecture. Il a été successivement un adepte des méthodes idéo-visuelles, globales, semi-globales, bref un champion de ce qui ne fonctionne pas. Obligé aujourd’hui de revoir ses conceptions, toutes ses déclarations tendent à faire croire que parler des méthodes, c’est alimenter un « faux débat ». Le chercheur Jean-Pierre Terrail, cité page 63, explique la position de ces soldats de la méthode globale : « La posture pédagogique actuellement dominante ne consiste plus à contester l’intérêt du déchiffrage, mais à mettre l’accent sur ses limites, en soulignant avec persévérance, qu’il est aujourd’hui acquis que déchiffrer est un savoir-faire insuffisant. » Tout vaut mieux que de reconnaître ses erreurs. C’est assez facile lorsque le crime est collectif.
En effet, le livre ne se contente pas de dénoncer les erreurs des pédagos. Les ministres ont aussi une grande part de responsabilité. Lionel Jospin en tout premier lieu avec sa loi d’orientation, favorable aux syndicats, défavorable aux élèves et imposant le règne du constructivisme. Mais les autres ministres aussi ont participé au crime à leur façon : François Bayrou acceptant au collège l’étude de la typologie des discours au lieu de la compréhension des textes ; Claude Allègre décrétant en 1999 que « les maths sont en train de se dévaluer de manière quasi inéluctable puisqu’il y a désormais des machines pour faire les calculs » ; Jack Lang remplaçant dans les programmes la grammaire par l’observation réfléchie de la langue ; Luc Ferry, cautionnant les égarements de ses prédécesseurs ; François Fillon ajoutant les compétences aux connaissances dans le socle commun. Avec Vincent Peillon et Najat Vallaud-Belkacem, on s’acharne sur le cadavre. Au-dessus des ministres, les présidents de la République se désintéressent de la question. Carole Barjon explique que « pour la plupart des présidents de la République qui se sont succédé à l’Elysée depuis 1958, l’éducation est d’abord, et avant tout, un terrain miné. » (p 194)
L’école est effectivement en train de mourir. Ceux qui l’ont mise à mort sont-ils pour autant des assassins, autrement dit des personnes qui ont commis ce meurtre avec préméditation ? Cette préméditation ne ressort pas vraiment de la série d’interview faite par l’auteur. On note plutôt une conjonction d’égarements, où l’on retrouve des éléments communs à ce drame : idéologie pour ne pas voir le réel, égalitarisme ravageur pour ne pas accepter les excellences quelles qu’en soient les domaines, suffisance pour ne pas avoir l’humilité de reconnaître ses erreurs. Mettons les assassins de côté (ce ne sera pas facile pour le prochain ministre de l’Education nationale, mais c’est essentiel) et regardons l’avenir. Pour que l’école se relève, le courage de ces lanceurs d’alerte pédagogique qu’ont été des instituteurs comme Marc Le Bris ou Rachel Boutonnet ou les prises de position contre le gâchis actuel de représentants des familles, d’enseignants ou d’intellectuels ne suffiront pas.
Carole Barjon intitule son dernier chapitre : « Ce que devrait être la priorité présidentielle.» Dans cette période pré-électorale, chacun peut remarquer que l’école tient une place plus centrale que lors d’autres campagnes présidentielles. Lire-écrire analyse dans cette lettre les programmes de plusieurs candidats. Le président de la République, une fois élu, devra soit tenir ses promesses, soit accepter le rôle de fossoyeur.