Yémen : le courage de Nojoud

Publié le 21 juin 2008 par Delphineminoui1974
La première chose qui m’a frappée en rencontrant Nojoud, petite Yéménite de 10 ans, c’est son assurance. Comme si les mésaventures de son mariage précoce avec un homme de 30 ans, puis de son divorce, - une première au Yémen ! -, l’avaient fait grandir, d’une traite, en volant cette belle innocence de l’enfance.
 
Quelle maturité quand, à l’autre bout du fil, elle s’était assurée, au préalable, de nous indiquer, dans le moindre détail, le chemin à suivre, pour rejoindre sa maison, perdue dans le dédale des rues poussiéreuses de Dares, à la périphérie de Sana’a, la capitale du Yémen.

Quand nous sommes arrivés, elle nous attendait près du grand parking. Elle était drapée d’un voile noir, sa petite sœur Haïfa à ses côtés. « Je serai près du vendeur de sucreries », nous avait-elle dit, trahissant la gourmandise des enfants de son âge. Des yeux en forme d’amandes, un visage de poupon, un sourire angélique. En apparence, une gamine de 10 ans, qui aime les bonbons, qui rêve d’avoir une télévision, et qui joue à cache-cache avec ses frères et sœurs.

Mais, au fond de son coeur, une véritable petite dame, que la tragédie vécue a rendu forte, et qui sourit aujourd’hui en recueillant les « Mabrouk ! » (« Bravo ! ») que lui offrent les femmes du quartier sur son passage pour saluer son courage.

Ses parents, eux, n’ont pas encore digéré l’affaire. « Question d’honneur ! », nous dira le père. Imaginez une petite fille haute comme trois pommes oser se rebeller contre les traditions religieuses et tribales qui sévissent au Yémen… Un scandale aux yeux des traditionalistes.

Une fois arrivés au logis parental, un modeste deux pièces meublés de quelques coussins au sol, ils se sont contentés de nous saluer discrètement, visiblement mal à l’aise face à l’importance que la presse internationale accorde aujourd’hui à l’histoire du mariage forcé de leur petite fille. Et à la victoire de son divorce, - fait exceptionnel au Yémen, où près de la moitié des petites filles sont mariées avant l’âge légal de 15 ans.

Nojoud, elle, a suffisamment souffert pour se permettre d’ignorer les états d’âme de ses parents. A la maison, où elle est revenue s’installer après le divorce, c’est elle qui est aux commandes. Elle se sait aujourd’hui protégée par son avocate et plusieurs ONG qui gardent un œil sur elle. Tout en nous servant le thé, elle nous raconte son histoire. Elle n’a pas honte, ou plutôt elle n’a plus honte de la raconter, nous dit-elle. Pas une larme, mais quelques silences et de nombreux soupirs. Mais après une grande respiration, elle reprend le fil de son récit. 

Elle a gagné. Elle est en fière. Relayée par les média locaux, son combat a donné, depuis, le courage à d’autres petites filles de bousculer, elles aussi, les règles en vigueur. Depuis, d’autres cas du même genre ont commencé à pointer le bout du nez.

Mais la triste réalité de l’affaire, c’est que, d’abord placés en détention provisoire, le père et le mari ont été acquittés. Au Yémen, il n’existe aucune loi visant à punir ce genre de crime, - l’abus sexuel d’une fille mariée trop jeune -, qui n’en est pas vraiment un au regard de la justice.

Comble de l’histoire, pour accepter le divorce, le mari exigea la somme de 250 dollars, soit l’équivalent de 4 mois de salaire d’un ouvrier yéménite, qui lui fut finalement versé par un avocat généreux.

Cliquer ici pour lire le reportage sur Nojoud, paru dans Le Figaro de ce week-end, et ici pour écouter son interview. 

(Image ci-dessus : Nojoud, devant chez elle. Crédit photo : Delphine Minoui)