Tim Wu, diplômé de Harvard Law School, est Professeur de droit à Columbia University. On lui doit d'avoir forgé et développé la notion de neutralité du Net. Son ouvrage est d'abord une histoire de la publicité et des médias. Sa thèse est simple : la publicité vole l'attention des internautes, enttr autres, pour financer les médias. Les médias revendent à des annonceurs l'attention qu'ils captent. Entreprises bifaces (cf. Jean Tirole). Attention : c'est le nom d'engagement que l'on donne désormais à l'attention, notion vague. Intrusion, puisque tout se passe comme s'il n'y avait pas de choix ; consommer les médias, c'est vendre son attention, son âme aux diables publicitaires ou acheter un service, un produit, avec son attention. En fait, l'attention c'est de la durée de contact. Troc donc ("to pay attention", dit-on en anglais). Encore que désormais, l'internaute peut bloquer la publicité, ce qui est depuis toujours possible pour le lecteur de journal, de magazine, le téléspectateur, l'auditeur de la radio ou le passant dans la rue. Il faut faire attention pour ne pas faire attention à la publicité !
Ce livre fourmille d'anecdotes racontées de manière journalistique (pour retenir l'attention ?). Mais Tim Wu n'est pas historien et il ne donne guère d'interprétation historique approfondie de ces anecdotes. D'autant que l'attention est une notion confuse, qui se laisse mal saisir. Elle est l'objet de discours flous de philosophes, de psychologues, mais l'on y reste dans les convictions, les spéculations, les généralités... William James y décrit le contraire de la distraction, ce qui ne nous avance guère. Même la position des yeux ne nous aide pas toujours. Que signifie "faire attention" ? Tim Wu reste dans le vague aussi : que vendent donc, exactement, les marchands d'attention qu'il dénonce ? Son livre parcourt et raconte l'histoire des médias, pas leur économie mais les aventures de l'attention : le prime time, le clickbait, The Huffington Post, AOL, Facebook, Kim Kardashian, etc. Probabilités d'attention. Et Netflix et HBO que l'on ne paie pas avec de l'attention ? Et Apple qui se vante de ne pas vendre à des annonceurs les données privées que l'entreprise collecte ? Dommage que Tim Wu n'analyse pas plus plus profondément l'opposition entre les modèles économiques de Google (qui achète et vend de l'attention) et de Apple qui n'en fait pas commerce.
Que serait devenu le web sans l'argent des "marchands d'atttention" ? Sommes-nous en présence d'un marché de la croyance ? Quel est le retour sur investissement de l'acheteur d'attention - et d'intentions - (contacts, durée de consommation, data) ? Notoriété (branding, brand equity) et ventes de produits. Le consommateur de médias aura pris connaissance d'un produit, d'une idée, en échange de l'attention qu'il a accordée volontairement à un message. Peut-être a-t-il été convaincu d'acheter un appareil, un livre, de changer d'idée... Ce n'est certainement pas un marché de dupes : quelle condescendence souvent dans la dénonciation des effets de la publicité ! Le livre s'achève en regrettant la commercialisation du web, la fin d'une utopie ; en moins de 20 ans, le web est devenu commercial ("thoroughly overrun by commercial junk"). Mais qu'est-ce qui n'est pas commercial, l'auteur ne semble pas cracher sur la commercialisation de son livre ?
Tim Wu dénonce la publicité. Son livre est de lecture agréable mais on y apprend peu. En revanche, et c'est salutaire, on y retrouve de lancinantes questions sans réponse : pourquoi la publicité plait-elle (parfois) ? Pourquoi aucune marque ne prend-t-elle le risque de ne pas investir dans la publicité (rique que ne prennent ni Netflix, ni Apple, ni... Tim Wu) ? Pourquoi regarde-t-on la publicité pour un produit que l'on a déjà acheté ?