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Les sans terre du Québec

Par Carmenrob

Les adeptes de la Promenade des écrivains de Québec se réjouiront de savoir que leur fougueuse accompagnatrice vient de publier un premier roman, Sans terre. Ceux qui n’ont pu encore apprécier le bagou de Marie-Ève Sévigny découvriront avec bonheur sa plume alerte et inventive.

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L’histoire se déroule principalement à l’île d’Orléans, dans un futur qui nous semble demain. Elle met en scène Gabrielle Rochefort, activiste fraîchement sortie de prison, condamnée pour avoir fait flamber des oies blanches engluées de pétrole sur le parterre de l’honorable ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, l’accusant de financer la Cliffline Energy et son oléoduc incontinent. Gabrielle loge dans un chalet que lui prête sa cousine Marie-Louise, importante productrice maraîchère de l’île, qui, chaque été, engage des Mexicains pour la cueillette. Un de ceux-ci fréquente en secret le lit de la bouillante écologiste. Or une nuit, le chalet de Gabrielle brûle. Il y aura mort d’homme. Quel lien avec la nouvelle croisade de Gabrielle: empêcher la construction d’un port pétrolier à Beaumont, juste en face de l’île, sa pollution visuelle et ses risques de contamination du fleuve déjà impraticable à la baignade? C’est la question que se pose Le Chef, ancien policier à la retraite, amoureux éconduit de Gabrielle, qui mène son enquête parallèle. Un engrenage s’est mis en mouvement, ébranlant le cours des choses dans cette paisible oasis. L’enchaînement des événements changera la vie, parfois dramatiquement, de chacun des protagonistes de l’aventure.

Les péripéties de Gabrielle donnent à l’auteure l’occasion d’aborder divers maux qui affligent le Québec en général et sa capitale en particulier. Ça parle de répression du droit de manifester, d’exploitation des travailleurs étrangers, de radio-poubelle, de déversement d’égout et de pétrole dans le fleuve, d’indifférence de la population. Dans ce futur probable, Radio-Canada a fermé ses portes et l’île d’Anticosti a été vendue à un consortium chinois. Marie-Ève Sévigny trace, au gros crayon-feutre, un portrait du Québec qui lui donne des allures de république de bananes. On se dit par moment qu’elle ratisse un peu large. Pour couronner le tout, les amours sont bancales ou non partagées. Restent, pour se consoler ou s’évader, les livres. Et encore…

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Marie-Ève Sévigny lors du lancement de Sans terre à la librairie Pantoute, rue Saint-Jean

La noirceur du tableau (tout comme de la couverture) pourrait être indigeste, n’étaient l’humour caustique et le style alerte de l’auteure. Les trouvailles et les images inattendues font sourire. Chacune, comme un bonbon, facilite l’ingestion du plat acide qui nous est servi.

Plus j’y pensais, plus une crapule comme Labrie ne me semblait pas destinée à mourir tranquillement dans son lit au crépuscule de sa vie. Le meurtre par règlement de comptes lui allait aussi bien que l’or au doigt d’un évêque.

Quant au titre, Sans terre, il réfère bien sûr aux travailleurs étrangers spoliés dans leur pays et qui viennent ruiner leur santé sur celles des riches propriétaires du Nord. Mais il renvoie également au Québec dont le sous-sol est quadrillé par les concessions minières et pétrolifères, assorties de droits d’expropriation plutôt affolants. Que vaut une maison quand le sous-sol échappe à son propriétaire? Peut-être somme-nous aussi des sans terre.

Marie-Ève Sévigny, amoureuse folle des livres (les promeneurs le savent bien), a déjà à son actif un recueil de nouvelles, Intimité et autres choses fragiles, et en collaboration avec Chrystine Brouillet, Sur la piste de Maud Graham. Avec ce petit polar socio-politique d’anticipation, à la fois réjouissant et dérangeant, elle signe une première œuvre romanesque qui donne le goût d’en lire davantage.

Marie-Êve Sevigny, Sans terre, Héliotrope noir, 2016, 266 pages


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