Pour mettre à jour ses recommandations datant de 2008, l’US Preventive Services Task Force (USPSTF) a passé en revue des dizaines d’études pour voir de quelle manière les femmes étaient accompagnées dans leur allaitement. Ils ont publié leur rapport récemment dans la revue JAMA (Journal of the American Medical Association).
Le même jour, l’AFP de Miami (USA) diffusait l’information par une dépêche troublante, avec un véritable dévoiement de ce que concluent les auteurs de l’article : ce qui est neutre dans la revue JAMA devient très négatif dans la dépêche de l’AFP. Là où le bât blesse, c’est que cette information a été relayée telle quelle par certains blogs et par des journaux comme le Huffington Post puis, ultérieurement, le Journal 20minutes.
Que s’est-il donc passé dans la transmission de l’information ?
Les auteurs de l’article de JAMA cherchent à être objectifs et prudents en posant des questions pertinentes sur la façon d’accompagner les jeunes mères dans leur allaitement. Mais leur approche manque de hauteur car ils n’ont pas perçu que la poursuite d’un allaitement ne dépend pas seulement de l’accompagnement proposé à la mère, mais elle dépend aussi de l’histoire personnelle de la mère, de son milieu familial et culturel, mais aussi du regard de la société sur l’allaitement. Il y a des sociétés bienveillantes avec l’allaitement et d’autres sont rapidement culpabilisantes (notamment la nôtre). Quoi qu’il en soit, les auteurs de l’article de JAMA confirment bien que la recommandation de promouvoir et soutenir l’allaitement n’a pas besoin d’être changée par rapport à celle de 2008.
Et pourtant, la dépêche de l’AFP, reprise telle quelle par les journaux, parle de recommandations « non pertinentes, voire dangereuses », en mélangeant avec d’autres articles sur des sujets divers, non liés directement à l’allaitement. C’est ainsi que la dépêche dérive vers une critique des recommandations du label «Hôpital Ami des Bébés» (HAB). C’est là un bel exemple de l’influence de l’émotionnel sur l’objectivité : qu’y a-t-il donc dans le vécu du rédacteur de l’AFP (ou de la rédactrice) pour conduire à une telle dérive dans le raisonnement ?
A titre d’exemple, la recommandation de ne pas donner de tétine pour éviter de freiner l’allaitement est opposée à une étude signalant l’utilité de la tétine pour éviter la mort subite du nourrisson. C’est oublier de dire que la tétine est très souvent donnée pour calmer un bébé qui aurait pris du lait si on lui avait proposé le sein. C’est oublier aussi que, grâce aux hormones de l’allaitement, le bébé et la mère synchronisent leur respiration pendant leur sommeil lorsqu’ils sont dans la même chambre et le sommeil de la mère est modifié pour se synchroniser à celui du bébé. Voilà autant d’éléments qui sont généralement oubliés dans les études scientifiques sur le sommeil du nourrisson et ses risques.
Mais ne crions pas non plus le haro sur les professionnels. Les pauvres, ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont appris dans leur vie personnelle et familiale. Ils sont victimes eux aussi, victimes de la grande incompétence de la Faculté qui n’enseigne rien aux futurs médecins sur la physiologie de la lactation et sur les enjeux médicaux, psycho-affectifs et sociétaux de l’allaitement maternel. Et pourtant, 70% d’allaitement à la naissance en France, cela fait chaque année environ 560.000 femmes qui viennent consulter leur médecin, dans les 1ers jours, avec leur bébé nourri au sein. Voilà donc des consultations très fréquentes où les médecins sont bien dépourvus. Quant aux sages-femmes et aux puéricultrices, leur enseignement est meilleur, mais encore bien insuffisant. Rappelons que l’OMS conseille au minimum 20 heures de formation pour qu’un(e) soignant(e) puisse aider valablement une mère en difficulté avec son allaitement. Finalement, en France, le sort des allaitements est lié, en partie, à l’implication personnelle et volontaire des soignants qui cherchent à se former, en plusieurs semaines, soit en optant pour un Diplôme Universitaire de lactation humaine, soit en cherchant à devenir Consultant en lactation IBCLC (diplôme de l’International Board of Lactation Consultants).
Pauvres scientifiques aussi qui, parfois, font des publications sur l’allaitement sans en connaître toutes les dimensions multidisciplinaires, mélangeant ainsi leur rigueur à leurs préjugés. Pauvres journalistes également, qui subissent les imprécisions, voire les dévoiements, des dépêches AFP et qui peuvent avoir du mal à s’en sortir avec cet imbroglio fait de données scientifiques, d’exigences de la société, de croyances familiales et de préjugés personnels.
Pauvres mères enfin, qui peuvent être perdues entre les avis contradictoires, voire les injonctions, des professionnel(le)s, les avis irréalistes de la société sur le maternage, les peurs ou les incompréhensions familiales, la fatigue, l’isolement, la culpabilité, le manque de confiance en elles-mêmes… et le fouillis d’Internet.
Dr Marc PILLIOT – Pédiatre, le 04/11/2016
Cofondateur de IHAB France,
Président de la CoFAM de 2003 à 2011,
Responsable du groupe Allaitement de l’AFPA (Association Française de Pédiatrie Ambulatoire)
Source : Dr Marc PILLIOT – Pédiatre, le 04/11/2016
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