Comme je l'annonçais dans ma précédente note, Afrika010 permet de se souvenir du lien vieux de deux siècles qu'entretient la ville de Rotterdam et le continent africain. Des pièces anciennes côtoient des oeuvres contemporaines, telles celles de l'artiste béninois Meschac Gaba que l'on aperçoit au fond de la salle derrière ces incroyables cercueils personnalisés du Ghana !
On découvre encore d'anciennes oeuvres qui constituèrent la base du fonds Afrique du musée dès 1883 ainsi que les donations de Piet et Ida Sanders. Les amateurs "classiques" trouveront, entre autres, beaucoup d'intérêt dans la remarquable collection d'objets de pouvoir congolais.
Il y aurait beaucoup à dire sur les oeuvres exposées toutes aussi intéressantes les unes que les autres et pour des raisons différentes. Le parti pris de la muséographie est l'absence de cartel pour laisser champ libre à la vision, ce qu'on peut regretter par moment. Je rattrape mon désir d'anecdotes par le biais du site de l'exposition qui fournit une intéressante précision sur la figure de Byeri Fang ci-dessous.
Ainsi découvre-t-on ce que le scanner a révélé : l'existence d'une dent humaine située derrière les yeux en métal. Outre sa fonction de garder les ossements d'un défunt dans le nsekh byeri, la sculpture porte en elle une relique supplémentaire afin peut-être d'accroître son pouvoir de protection.
Comment s'est-elle retrouvée au Wereldmuseum ? C'est une drôle d'histoire. Elle appartenait au Baron E. von der Heydt (1882-1964), financier et collectionneur éclectique, établi dans les années 20 à Amsterdam. En relation avec le marchand Carl Van Lier, il acheta art moderne, art africain et art océanien.
Désireux de partager sa passion, il réhabilita en 1924 trois vieilles maisons de pêcheurs à Zandvoort : au rez-de-chaussée de l'une d'entre elle, se trouvait ce qu'il appela le Muluru, une cafétéria dans laquelle on pouvait « boire une bière sous un démon japonais » ou « se faire servir une tartine de beurre devant une statue des mers du Sud ».
Muluru n'était pas spécialement un nom exotique mais prosaïquement l'acronyme de Museum & Lunchroom !
Mais tout ceci n'était pas très rentable, et Muluru fut démolie. Eduard von der Heydt s'établit en Suisse en 1937.. Il s'agit d'une autre histoire toute aussi passionnante mais qui se situe au niveau des collections du musée Rietberg...
Pour en revenir à notre Eyema Byeri, celle-ci n'a pas dû suivre son propriétaire. Restée aux Pays-Bas, elle qui aimait peut-être "les forêts de mâts, et les navires amarrés au pied des maisons", elle rejoignit les collections du Musée Boymans van Beuningen pour atterrir au Wereldmuseum !
Et dans tout cela que dire de ce titre étrange de l'exposition ? ... Il suffit de composer l'indicatif téléphonique de Rotterdam... le 010 ... et du monde entier, on devient connecté à la ville !
Une partie du titre de cet article est empruntée au poème Anywhere out of the world de Baudelaire.
Photos de l'auteure au Wereldmuseum, octobre 2016.