Dans Vie commune Stéphane Bouquet se propose d’élargir le territoire de son écriture avec une pièce de théâtre et des récits. « mes amis, j’écris de moins en moins de poésie » et ce livre ne contient que trois poèmes. Dans ses récits, Stéphane Bouquet habille ses personnages avec des sensations prises dans l’immédiate réalité, mais décalées de leur place habituelle : ainsi, dans Sa femme en peinture, la lune devient une petite tache de fromage frais, et les visages sont dénués de visages, mais remplacés par un « complexe lèvres menton » , ainsi le cœur est un bonzaï, mais fermement dessiné, afin que nous puissions le croire, et les doigts de quelqu’un d’autre deviennent nécessairement les nôtres, pour nous servir, les noms et les prénoms se transforment en adjectifs qui permettent de mieux situer l’éloignement ou la proximité des êtres. Dans ces récits , l’écriture poétique est remplacée par la transparence des personnages, et leur porosité leur permet de bouger, de parler, de marcher pour le compte de Stéphane Bouquet qui ne leur donne que des morceaux d’existence qui dépassent à tel ou tel endroit du récit : mais justement, ceci est très différent du théâtre, puisque dans cette pièce de Bouquet, l’espace de la scène mutile les prolongements des personnages qui doivent rester à leur place de personnages, comme des incarnations que les différentes scènes montrent de face, de dos et de profil, pour finir par reconstituer le tout utopique de l’altérité retrouvée dans une communauté.
« mes amis, j’écris de moins en moins de poésie. J’ajoute juste/des mots à des jours/en espérant y trouver la raison de surpasser l’odeur intense/ de solitude qui /me stagne sans arrêt sous les bras… » (En guise d’excuse, p.10).
Théâtre et récits sont les autres moyens que Stéphane Bouquet utilise pour conjurer cette solitude : l’espace du théâtre donne un corps à la langue, permet de joindre les gestes à la parole : ce n’est plus du papier sur lequel Stéphane Bouquet couche son angoisse, il peut apercevoir celle-ci se déplacer sur scène chaque soir dans les mêmes circonstances, il peut la contenir dans un propos utopique qui trouve sa réalisation à la fin de chaque pièce.
Les récits de Bouquet sont fabuleux : il est permis à tous les personnages de se transformer, de devenir des morceaux choisis de la douleur, de l’angoisse, du plaisir et de l’absence, avec de nombreux visages qui ne sont pas toujours celui de Bouquet : il lui est possible désormais de parler de lui comme s’il avait existé dans ces personnages, ce qui est une définition de la fiction, mais nourrie de présences, de souvenirs et de sensations.
Dans Vie commune, Stéphane Bouquet tente de déplacer la frontière de la première personne du singulier, le JE du poème, à l’intérieur de toutes les personnes du pluriel de l’altérité et pour cela déploie les nouveaux espaces collectifs du théâtre et du récit.
Vianney Lacombe
Stéphane Bouquet, Vie Commune, Editions Champ Vallon, 150 p., 14 €